« La ministre des barres parallèles, du pentathlon et de l’éducation nationale crache d’emblée sur l’institution scolaire et ça ne doit plus passer »
Le 21/01/2024 par Harold Bernat
Arrivée en fanfare pour Amélie Oudéa-Castréa au poste de ministre de l’Éducation nationale, de la Jeunesse, des Sports et des Jeux olympiques et paralympiques. Si l’intitulé à rallonge de la fonction laisse déjà perplexe, il en va de même pour le choix d’avoir nommé à une telle fonction une « maman », ainsi qu’elle se désigne niaisement sur les plateaux de télévision, qui a fait le choix du privé pour ses propres enfants. Et pas n’importe quel privé: le plus inégalitaire, cher et réactionnaire qui soit. Diffamant d’emblée l’école publique, ayant possiblement bénéficié d’un contournement de Parcoursup, il est clair désormais que les syndicats doivent obtenir sa démission pour en finir avec une situation délétère. Sur QG, Harold Bernat tire le portrait d’une macronie toujours plus lamentable
Aux syndicalistes de l’Éducation nationale qui ont perdu tout honneur en n’exigeant pas la démission sans conditions d’Amélie Oudéa-Castéra.
L’air goguenard, le rictus un peu figé, le timbre niais, Amélie Oudéa-Castéra – nous allons découvrir progressivement cette dame – prend la parole devant les sénateurs. « Monsieur le président de la République, monsieur le Premier ministre m’ont confié un continuum de responsabilités aux synergies qui sont en effet nombreuses mais au cœur de ce continuum, il y a une ambition, le réarmement civique de notre jeunesse. » Non, il ne s’agit pas d’une cadre sup’ en burn out dans une clinique privée qui inventerait des formules insensées devant son thérapeute avec un sourire inquiétant. Il ne s’agit pas non plus de l’imitation numérique filtrée par une IA d’un discours pétainiste des années 40. Nous avons là, droit dans son tailleur écru et dans sa classe sociale, la dénommée Amélie Oudéa-Castéra, nouvelle ministre du volley de plage, des barres parallèles et de l’éducation nationale. J’attendrai longtemps et certainement en vain l’explication de la différence entre ce discours et celui d’un malade en crise de démence qui aurait perdu le contact avec la réalité. Peut-être faut-il faire l’hypothèse définitive que le macronisme, dans son effondrement terminal, ne soit plus qu’un hôpital sans médecins dans lequel des patients non stabilisés et jouant avec des billets de Monopoly et des forceps ont pris les clés. Avec des CRS tout autour qui protègent la France de la populace séditieuse.
Le choc des savoirs y a remplacé l’électrochoc. Il se murmure même, entre les murs, qu’un jeune patient, brillant à force de se faire astiquer, placé là par sa mère et se proclamant « Premier ministre » avec un bonnet d’âne sur la tête, « Assas » écrit dessus au jus de citron, réclame la paternité de cette formule asilaire. Se prendre pour Macron, jadis pour Napoléon, est d’ailleurs un symptôme aujourd’hui reconnu qui touche aussi bien les grandes endives ramollies de la bourgeoisie affairiste que les managers péteux de la petite bourgeoisie qui voudraient en être. Cette ménagerie lugubre, hélas, est nettement moins sympathique que les compagnons d’infortune de Jack Nicholson dans « Vol au-dessus d’un nid de coucou ». Ce tout petit monde, on l’appelle aussi le premier cercle des politiques disparus, a la particularité de produire des phrases insensées avec de grands airs, tout en vous signifiant sans détour qu’il vous emmerde. Enfin, pour être plus précis qu’il ne peut recevoir décemment dans une démocratie qui se respecte des propositions fort peu constructives comme les vôtres. Ce qui signifie, en pratique, exactement la même chose.
Je ne connaissais cette dame, aujourd’hui ministre du BMX, de la flamme olympique et de l’éducation nationale, qu’à travers sa sortie sur les appartements du Crous. Elle invitait en effet les étudiants, en tant que ministre des sports, à faire « le petit effort » de laisser leur appartement aux sportifs pendant deux mois. Réécoutons AOC, rien à voir avec le camembert même si ça pue, sur une des innombrables bandes-son de la condescendance macroniste : « Je pense que les étudiants seront fiers de se dire, voilà, qu’ils peuvent prêter leur logement, mettre à disposition leur logement pendant deux petits mois d’été (elle fait en même temps un geste pour montrer cette courte durée avec sa main). » Pour résumer, la gratification symbolique de faire « le petit effort » avant de se retrouver deux mois à la rue vaut compensation. Les logements du Crous sont occupés par les plus précaires, des étudiants qui n’ont bien souvent aucune autre possibilité de logement. Cette proposition, en elle-même ahurissante, pour tout dire obscène, est pourtant énoncée en toute bonne conscience avec la certitude de la dame patronnesse qui croit faire le bien absolu en apportant une galette des rois à la sortie de Sainte-Clothilde de la Trinité l’Assomption, l’école de son fils qui, plus tard, voudrait faire comme papa. Avant d’user de mots forcément vulgaires pour décrire une telle attitude vis-à-vis des étudiants les plus pauvres, je les ai aussi en tête, gardez bien à l’esprit que ces gens ne se représentent pas le monde exactement comme vous. Il y a des écarts entre votre façon de voir et la leur. Dans le cas contraire, vous ne seriez pas en train de lire ce compte-rendu clinique de la maltraitance sociale qui nous tient lieu de proposition politique progressiste en France. Disons, pour reprendre le vocabulaire de la démence macroniste, que le continuum entre vos évaluations morales et les leurs est largement altéré. Dans leur monde, la gratification symbolique remplit le réfrigérateur et les études sont une question de bons réseaux. Dans leur monde, les solutions de logement se règlent au téléphone en cinq minutes, y compris et surtout pour se loger à Paris centre. Dans leur monde, il n’est absolument pas ahurissant, encore moins obscène, de prendre les étudiants pour des demeurés car là n’est pas leur intention. La réalité, une dépendance de leurs caprices, doit toujours s’aligner sur leurs bonnes intentions, lucides, pragmatiques, raisonnables. Beaucoup plus que les vôtres, extrémistes en goguette et pouilleux.
Cette dame, actuellement ministre du pentathlon, du rugby à sept et de l’éducation nationale, a fait une entrée particulièrement remarquée dans le ministère. Elle a trouvé bon, en effet, en réponse à une question d’un journaliste de Mediapart sur la scolarisation de ses enfants, question classique et devenue rituelle, de gauche à droite, de cracher, face caméra, sur l’école publique. Elle aurait, selon elle, placé ses enfants dans l’établissement catholique privé de niche, Stanislas, excédée par le non remplacement des professeurs de ses enfants dans le public. Il est important de prendre le temps de la lecture exhaustive pour mesurer de quoi nous sommes exactement en train de parler. Ce temps, il est nécessaire de le prendre car la machine à exterminer le sens de la parole publique et politique fonctionne à plein régime. Voici : « Moi je vais vous dire pourquoi nous avons scolarisé nos enfants à l’école Stanislas, je vais vous raconter brièvement cette histoire. Celle de notre aîné, Vincent, qui a commencé comme sa maman à l’école publique, à l’école Littré. Et puis la frustration de ses parents, mon mari et moi, qui avons vu des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées et, à un moment, on en a eu marre comme des centaines de milliers de familles, à un moment on fait un choix, voilà, d’aller chercher une solution différente. On habitait rue Stanislas, scolariser nos enfants à Stanislas était un choix de proximité. Depuis, de manière continue, nous nous assurons que nos enfants sont bien formés avec de l’exigence dans la maîtrise des savoirs fondamentaux et qu’ils sont heureux, qu’ils sont épanouis, qu’ils ont des amis, qu’ils sont bien, qu’ils se sentent en sécurité, en confiance, et c’est le cas pour mes trois petits garçons, mes trois enfants qui sont là-bas. Alors je pense qu’avant de stigmatiser les choix des parents d’élèves, il est important de rappeler que l’école, c’est celle de la République, et que la République travaille avec tout le monde dès lors qu’on est au rendez-vous. » Le mot « cracher » est ici important et doit être souligné car la bourgeoisie séditieuse s’en offusquera. Elle vous parlera liberté, choix individuel et réalisme. Nous rectifions ses mots : glaviots, bave et diffamation sont autrement plus objectifs. Tailleur écru ou pas. Ils décrivent le réel quand la démence de classe voudrait le vaporiser. Une enquête, facile à mener, y compris pour une chaîne d’information, cela situe le niveau de difficulté, conclura le lendemain au mensonge. L’école Littré, où a été scolarisé en effet son fils, réagit et rectifie la calomnie. Une plainte pour diffamation est d’ailleurs en cours. Aucune absence lors de la scolarisation de son enfant mais un problème de saut de classe. Comprenez, le génie, dans un certain milieu, s’étalonne quand les couches sont encore pleines.
Dans ce feuilletonage indécent, sur fonds publics, à plusieurs milliers d’euros la journée tout de même, le pire était pourtant à venir. Une série de contre-feux chercheront à minorer l’ampleur du mensonge et la taille du crachat sur l’institution dont elle a désormais la charge en tant que ministre du mountain bike, de la GRS et de l’éducation nationale. Le plus infantilisant ? « Je me suis appuyée sur le souvenir d’une expérience d’une maman d’il y a 15 ans. Les statistiques du rectorat, et ce qui compte le plus, la parole d’une enseignante me donnent tort. Dont acte. » Maman, enfant, bébé. Vous ne croyez pas une seconde, naïfs et crédules que vous n’êtes pas, que ces mots bien choisis, sentant bon la poudre et le lait maternel, sont les beaux fruits innocents des sentiments qui s’épanchent de l’instinct de maman. Derrière cette liqueur, ce jus frais Télématin, une équipe de communication, cynique et rodée. Il faut tenir la ligne quitte à resservir une lichette de démence auréolée de niaiserie. Le nudge et trois biscottes. La tentative psycho-affective pour amadouer des spectateurs dépolitisés à moitié endormis peut trouver son public. Elle ramassera au moins un millier de beurres mous.
Il ne s’agit pas, évidemment, de minorer la question des remplacements de professeurs sur des courtes durées. Mais le sérieux exigeait de déblayer avant. C’est chose faite. Les remplacements de courte durée sont majoritairement assurés par des vacataires maltraités par les rectorats, payés avec des accomptes, méprisés et souvent mal formés et mal accompagnés, placés en situation d’échec. Les classes populaires sont les premières touchées. Mais depuis quand la grande bourgeoisie qui navigue entre l’École alsacienne et Stanislas s’intéresse à cette question sans s’en servir de prétexte pour enfoncer l’école publique ? C’est aussi cela qui redouble l’ampleur du crachat. L’instrumentalisation de la misère professionnelle pour accélérer la destruction du lien social et des principes qui font notre République, une République sociale qui n’est évidemment pas la leur.
Nous sommes le vendredi 19 janvier quand j’écris ces lignes et la ministre de l’équitation, de Paris 2024 et de l’éducation nationale est toujours en poste. Sans une puissante mobilisation nationale, elle le restera. Il n’y a pourtant aucune justification au maintien en place de cette maman d’élèves à Stanislas, un établissement qui n’est d’ailleurs pas du tout représentatif des privés sous contrat en France où sont scolarisés un peu moins de 20 % des élèves – un établissement actuellement sous le coup d’un rapport d’inspection faisant état de nombreux cas d’homophobie, de sexisme et de brimades. Mais les bourgeois séditieux veulent imposer leur modèle sado-répressif et leur séparation de classe comme une conséquence des résultats de ce qu’ils détruisent, certainement pas comme un choix parfaitement délibéré qui vient d’eux. Démolisseurs et lâches. En détruisant d’un côté ce qu’ils critiquent de l’autre, ils gagnent sur les deux tableaux, sur le dos d’une institution publique qui s’effondre. Je ne trouve pas de meilleur concept pour les définir que le « salaud » de Sartre, la liberté de faire le mal qui se nie. Nous sommes trop tendres avec ces gens, trop passifs, trop faibles. Le nombre ne suffit pas sans la force d’une cohésion sociale et d’une cohérence politique implacable. Ils le savent et en jouent parfaitement. Ils démembrent, ils sont en place pour cela. Mais pour un texte sérieux sur le sujet qui nous occupe, un appel clair et net à la démission, sans conditions, de la ministre de la pétanque, non, des fléchettes, non plus, de la communication démente, pour résumer, combien de fausses doléances signées par des syndicalistes qui s’arrangent de tout. Nous en crevons et nos libertés politiques avec. A force de tout accepter, de tout laisser passer, de tout relativiser ou de s’en foutre, de nos institutions publiques, il ne restera bientôt plus rien.
Harold Bernat
À l’heure où QG publie ce texte, une nouvelle affaire vient s’ajouter à un dossier « Oudéa-Castera » déjà très chargé: « Le fils de la ministre Oudéa-Castéra a bénéficié d’un système de contournement de Parcoursup à Stanislas », Mediapart, 20 janvier 2024
Photo d’ouverture : Amélie Oudéa-Castréa sur le plateau de France 2, 17 janvier 2024