Ne nous laissons pas infantiliser par les politiques, redevenons des citoyens

Le 02/02/2023 par Harold Bernat

Ne nous laissons pas infantiliser par les politiques, redevenons des citoyens

On sait que la « pédagogie de la réforme » est le grand mantra de tous les politiques néolibéraux lorsqu’ils se retrouvent en butte à un peuple réticent, de Juppé jusqu’à Macron. Mais il n’est pas propre aux politiques de droite, on peut aussi en faire l’expérience dans tous les camps. Notre blogueur Harold Bernat, professeur de philosophie, en a fait l’expérience récente lors d’une AG contre la réforme des retraites à Bordeaux où étaient présents des membres éminents de la NUPES. Il en livre le récit sur QG

La pédagogie est à l’honneur. Mais ne faisons pas semblant de découvrir avec les macronistes arrogants « éducateurs de peuple » cette logique du politique qui consiste à infantiliser les citoyens. En 2007, c’était déjà la pédagogie de papa Sarkozy, de maman Royal et de Tonton Bayrou. Tout juste pouvons nous parler d’une extension du domaine de la pédagogie avec Macron sur laquelle il serait fastidieux de revenir tant la chose est désormais connue et balisée. Ce qui est un tantinet plus intempestif par contre, c’est de noter que la pédagogie politique ne concerne pas simplement les macronistes mais tout le spectre des partis politiques quand ceux-ci s’adossent au spectacle. Il s’agit là de notre situation actuelle et de la raison de notre impuissance collective. De cette défaite de la majorité.

Il y a quelques jours à Bordeaux, une réunion publique à l’initiative de la NUPES avec quatre députés, trois syndicalistes (CFDT, FSU, FO) et un économiste bordelais sérieux, Eric Berr, au point sur la question des retraites, s’est tenue au théâtre de l’Athénée au centre ville. Les quatre députés NUPES sont bien contre le vol des cotisations par la politique du capital portée par des arrivistes sans état d’âme, dont le très charismatique Olivier Dussopt en chef de fil qui traitait tout de même Macron de « connard » en 2014. Nous sommes sur la ligne du retrait de cette « réforme », là n’est pas la question. Clémentine Autain a rappelé que la pédagogie macroniste c’était du Orwell revisité. En gros, travailler deux ans de plus après 62 ans pour votre bien. La syndicaliste FO résuma cela simplement : « deux ans ferme ». La députée NUPES insista également sur le mépris à peine masqué par cette pédagogie qui commence à faire majoritairement rire les citoyens et c’est une très bonne chose.

Il ne faudrait pas croire cependant que cette critique de la pédagogie macroniste est formulée par la seule NUPES. En commission des finances, le député RN Joseph Tanguy rappelle que « le terme épouvantable de « pédagogie » remet en cause le principe même de la démocratie puisqu’il n’y a pas d’enfants dans le corps des citoyens et dans le corps politique. » Une phrase juste qui devrait valoir pour tous les partis politiques, RN inclus. En effet l’instrumentalisation de la peur de l’autre, de l’étranger en général, fait partie des grands thèmes « pédagogiques » d’infantilisation des citoyens français largement promu par ce parti politique. Mais quand au juste commence la « pédagogie » et l’infantilisation des citoyens ? Si l’idéologie est toujours la pensée de l’autre avant que l’autre ne pense, ne faut-il pas aussi balayer devant notre porte lorsque nous accusons l’adversaire politique de faire dans la « pédagogie » ?

Revenons au théâtre de l’Athénée et au diable qui se cache toujours dans les détails de l’action politique et de l’organisation de la parole publique sans laquelle la citoyenneté est un mot qui ne renvoie à rien de réel. Une fiction. Grande fut ma surprise en entrant dans une salle autrement plus remplie que les Assemblées générales de la lutte sociale à Bordeaux hors des théâtres de la représentation politique: une distribution de post-it. Chaque spectateur était ainsi invité à écrire sa question sur un post-it relevé à la fin des interventions calibrées sur l’estrade. Les questions « les plus représentatives seront choisies » nous explique un député NUPES remonté contre Macron et sa clique de morveux pédagogistes. Je demande à l’entrée : on ne peut pas poser de questions directement ? Gène de l’encadrement. Pourquoi un tel dispositif ? Par crainte des questions ? De la liberté de ton des interventions ? Pour mettre à distance les citoyens et conserver la hauteur de la scène ? Pour quelle raison ce tri ? Toutes ces questions peuvent paraître secondaires, je les tiens au contraire pour centrales. C’est là que se joue ou se perd le corps politique, c’est justement à ce moment précis que la critique du pédagogisme macroniste trouve d’emblée ses limites dans l’organisation théâtrale de la parole publique. Ces questions critiques n’ont pas de lieu. Les poser tout de même de façon intempestive c’est prendre le risque de brusquer un auditoire qui vient avant tout écouter une parole et non échanger des prises de position politiques en plein mouvement social.

Approfondissons un peu. On ne peut pas d’un côté taper sur le pédagogisme des cireurs de pompes macronistes, accuser les politiques du capital de prendre les citoyens pour des enfants et ramasser les post-it à la fin de la leçon, une leçon d’ailleurs largement connue par l’auditoire, comme le maître d’école ramasse des cahiers à la sonnerie. Il est temps d’être un peu cohérent. D’autant plus que nous n’étions pas 2000, mais environ 300, et une autre façon de faire aurait été possible. Appelons cette façon de faire : l’activité politique. La pratique politique, celle qui autorise à critiquer les causeurs professionnels qui font la leçon au peuple, n’est pas compatible avec le spectacle. Dire cela, ce n’est pas « tirer contre son camp » ou « faire le jeu de l’adversaire ». Ces façons de penser niaises et réductrices, pleine de moraline stérilisante, font aussi partie de la pédagogie politique dont les citoyens français ne veulent plus.

Si nous voulons battre les fondés de pouvoir du capital, il est temps d’être un peu cohérent dans nos pratiques politiques, de faire le lien entre les discours (nous commençons d’ailleurs à en avoir fait le tour) et les façons d’instituer le politique, de construire la liberté politique en pratique. Les post-it et les cahiers de doléances, ça ne suffira pas. Il existe de très nombreuses pratiques pour dépotentialiser la lutte sociale et le combat des citoyens pour la justice sociale, la reprise en main de leur destin. Les cabinets de conseil et les professionnels du marketing en vivent assez bien. Les partis politiques actuels, dans une société dominée par le spectacle, n’échappent absolument pas à ces logiques qui se traduisent en fin de course par un désengagement politique évident. L’électoralisme peut se permettre les post-it et les sites participatifs ; le combat politique sérieux ne peut pas se le permettre.

Il ne suffit pas d’éteindre la télévision pour ne plus être renvoyé à la passivité d’un spectacle qui ne produit aucune force collective. La « pédagogie » politique n’est pas simplement un type de discours infantilisant mais un dispositif d’inhibition du politique, une volonté de casser les forces en présence, de contrôler, de canaliser. Bref, de circonscrire la citoyenneté à une participation inoffensive, convenue. A ce jeu-là, les fondés de pouvoir du capital sont les maîtres. Ils savent faire. C’est justement cela leur pédagogie politique : nous assigner à l’éternel statut de spectateur. S’il est en effet urgent d’abattre le spectacle politique, il est urgent pour le faire de ne pas simplement dire que nous ne sommes pas des enfants. Agissons en adultes, refusons les petites saynètes du politique, les jeux d’étiquettes et les postures. Gagnons en puissance et osons faire valoir publiquement ce que nous estimons être légitime. En face, sur l’estrade ou dans la salle, au théâtre ou derrière la caméra, nous avons affaire à des citoyens. Rien de plus.

Harold Bernat

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5 Commentaire(s)

  1. Triple buse, pinalleur, « et toi-même! » Harold ne juge pas les autres à travers son cas personnel, couillon. C’est tout le contraire. Mais bon sang relis son texte. Il s’étonne. « (…)un auditoire qui vient avant tout écouter une parole et non échanger des prises de position politiques en plein mouvement social ». Il enfonce le clou: « (…) Les fondés de pouvoir du capital sont les maîtres. (…) leur pédagogie politique: nous assigner à l’eternel statut de spectateur ». Et cela vaut en parti pour les gens de la Nupes, dont je suis. J’avais dénoncé cette attitude _ qui à tous semble normale, qui s’étonnent de cette remise en cause _ durant les universités d`’èté de LFI.
    Cher ainuage tu ne retiens donc que ça d’une analyse magnifique, qui une nouvelle fois tape juste et où ça fait mal.

    1. Je découvre ce post peu amène, et pour le coup décevant. Couillon toi-même ai-je envie de réagir.

      La beauté d’un texte ? Certes elle est respectable et tout le monde l’aime ! mais que vient-elle faire là-dedans ? La beauté a toujours été un adjuvant trompeur de la vérité. Le plus mauvais texte peut être plus vrai que le plus beau. La lutte sociale n’a pas à être belle. Si elle l’est, tant mieux, sinon, tant pis. L’axe de la beauté, l’enjeu de beauté n’est vraiment pas essentiel au débat : chacun sa beauté d’ailleurs. Les tortures du marquis de Sade enchantent esthétiquement certains et même certaines.

      « (…)un auditoire qui vient avant tout écouter une parole et non échanger des prises de position politiques en plein mouvement social » : et alors ?! il faut toujours traverser dans les clous, ne jamais déroger ? ne jamais détourner ce qui est prévu, ce qui « se fait ordinairement » ? Il y a ceux qui parlent et ceux qui écoutent. point barre ? Pour avoir assister à de nombreuses conférences, il y a toujours (souvent) en final, un temps de questions, quand bien même ce ne soit pas l’objet, ou plutôt le motif principal de la chose. Qui prend la parole ? Toujours les mêmes, les beaux parleurs, les diplômés, pour la plupart des bourgeois en fait.

      Et vous venez là, avec Harold, nous faire un caca nerveux sur un point plus que secondaire à propos de la lutte des classes. La prise de parole a-t-elle était interdite par LFI ? Je pense que, vraisemblablement, ceux qui voulaient parler pouvaient le faire ! Les spectateurs se sont-ils plaints de la méthode ou est-ce à travers vous-même que vous la juger mauvaise cette méthode ?
      Le réel avant tout; le fantasme ensuite. La possibilité de l’écrit est une amorce ; ensuite l’échange peut se poursuivre oralement : je l’ai pratiqué, c’est comme cela que ça se passe. Et vous, quelles expériences concrètes en avez-vous ?

      La multiple buse que vous êtes devrait donc se calmer et réfléchir un peu avant de battre des ailes tout azimut et d’invectiver, cracher sous l’effet de l’émotion.

      Nota : je suis d’ailleurs étonné que votre insulte ait passé le cap de la modération QG. Précédemment, lors de votre entrée sur ce site, je vous avais fait une réponse un peu « raide » sur un de vos commentaires : il n’a pas été publié par QG.

  2. Oh ! Là, pas d’accord avec Harold. Pinaillage.
    Après de nombreuses années de consulting en entreprises, j’ai parfois utilisé cette méthode pour la bonne raison (que tout consultant connait) que beaucoup de personnes n’osent pas ou considèrent qu’elles ne savent pas s’exprimer publiquement; et du coup, se taisent.
    Harold est professeur, et l’expression orale publique, il connait. Je trouve que son propos est ici celui d’un nanti intellectuellement parlant, qui a une certaine vision esthétique de la « digne » expression ! Les solutions pratiques, la pratique, sont des compromis, pour chacun, entre plusieurs enjeux contradictoires. Là, Harold doit quitter sa chaire et ne pas juger les autres à travers son cas personnel.

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