Un café di latte pour Bruno Le Maire
Le 05/05/2023 par Harold Bernat
En réponse au mouvement social contre la réforme des retraites portée par son ministère, Bruno Le Maire nous offre un récit aux passages érotiques douteux, rapidement devenu la risée des réseaux sociaux. Après les exploits de Marlène Schiappa dans Playboy, les fautes de goût des membres du gouvernement ne cessent de saturer l’espace public, l’obscénité venant offrir un curieux corolaire à la violence déployée dans la rue. Passant outre les revendications du peuple au profit de lubies personnelles embarrassantes, chacun sent bien que la légitimité du pouvoir n’en sort pas grandie. Harold Bernat, agrégé de philosophie, dresse un état des lieux affligeant de nos « puissants » dans son blog pour QG
Vendredi 28 avril, en fin de soirée, un ami lecteur m’envoie la photographie de la page d’un livre signé par le ministre de l’Économie et des Finances en fonction, Monsieur Bruno Le Maire. Je peine à faire immédiatement le lien entre ce scénario porno-phallocratique très mal écrit, à l’imaginaire aussi stérile qu’une terre agro-industrielle sans engrais, et la dignité que l’on suppose être celle d’un ministre quand on oublie un peu vite qu’il est aussi macroniste après avoir méprisé Macron quelques années auparavant. Ce qui en fait d’ailleurs un macroniste de plein droit, un macroniste pur jus. Ce pénible effort d’écriture, qu’il serait abusif de qualifier de littéraire – à moins que l’on désigne aussi par ce qualificatif le menu moules frites d’un bord de plage – est publié chez Gallimard. Si l’ambition de cette maison d’édition était de nous montrer à quel point la misère d’un certain imaginaire sexuel masculin peut correspondre en tous points et tout orifice avec l’univers standardisé de l’enfilage pornographique à la chaîne, sur fond de gros plan qui ont plus à voir avec la proctologie qu’avec l’érotisme, l’entreprise est réussie. Bravo Gallimard, merci Bruno, beau travail.
La nuit passée, je relis donc cette page de bravoure dont voici le meilleur : « Elle [Julia] me tournait le dos ; elle se jetait sur le lit ; elle me montrait le renflement brun de son anus : « Tu viens, Oskar ? Je suis dilatée comme jamais. » En disant ces mots elle avait un visage d’ange ; si elle était folle d’amour, moi j’étais en extase ». J’agrémentais le texte d’une mise en garde – écrire sur la sexualité n’est pas à la portée du premier trou du cul venu – et je postais le tout sur les réseaux sociaux pour archive. Une rapide recherche sur les invitations promotionnelles de Bruno Lemaire dans des médias peu attentifs aux détails, mais particulièrement bienveillants sur le fond les jours précédents, me permit de découvrir que le caractère « érotique » de certains passages était évoqué. Mais de très loin, nous sommes aussi entre courtisans. Le Point n’est pas un anus. C’est ainsi que le renflement brun dilaté comme jamais de la pauvre Julia devenait un sujet de discussion animé sur Twitter, entre café noir et biscotte à beurrer un samedi matin. Une flopée de commentaires, tous très inspirés, venaient compléter la page d’écriture de Bruno le phallo et son imagier de supermarché du cul. Pas besoin d’être Jérémy pour se douter qu’un tel sujet rassemble au-delà du balisage traditionnel. Il y a très vite foule bigarrée au portillon. On passe en quelques heures le million de vues. D’autant plus que les métaphores sexuelles, les sodomites en particulier, bourgeonnent fatalement dès que le peuple se sent lésé dans son consentement. En macronie, il l’est quotidiennement.
Un ministre de l’Économie et des Finances a eu le temps d’écrire en cinq ans, tant sa fonction est prenante, quatre livres dont le dernier nous enseigne sur la dilatation du renflement brun de l’anus de Julia alors que le gouvernement auquel il appartient somme les français de travailler deux ans de plus, en violant leur consentement à grands coups de 49.3, de 47.1 et de matraques… vous voyez le tableau. Dans ces cas là, on ajoute en général qu’il est inutile de faire un dessin. Bruno fait pire, il nous décrit la chose avec force détails. Si l’on ajoute en guise de cadre à ce tableau féerique les très laides photographies de Marlène Schiappa, la vulgaire influenceuse Playmate dans PlayBoy, le rappel de ses écrits d’antan sur la fellation gloutonne des femmes girondes, les magouilles du fonds Marianne et la décapitation d’un collègue dont on insulte en plus la mémoire par de telles pratiques, je ne vois pas d’autre sentiment que la honte pour ceux à qui il reste encore une once de dignité. Pasolini revient. Ou pas.
Sortons un peu du trou, prenons de la hauteur. J’ai suffisamment mis en procès l’époque sur son appétence pour la petite morale, cette moraline qui empoisse partout, pour ne pas faire ici le procès des délires sexuels des uns et des autres. Le problème est ailleurs. Derrière le discours de l’efficacité, du calcul, de l’insensibilité au social, à l’humain, se cache, comme l’écrivait si justement Jean Baudrillard, une catastrophe « pire encore que le ravage de la bombe », à savoir l’éviction de l’homme. La pauvreté de l’imaginaire, la standardisation des comportements humains, conduit inéluctablement à une nouvelle forme de sensibilité qui n’a probablement aucun précédent dans l’histoire. La banalisation du vide et la disparition du sujet. C’est le même homme, le même sujet, qui participe activement à une politique de casse sociale et qui publie en plein mandat des choses aussi minables. C’est la même femme, le même sujet, qui gère des millions d’euros à sa guise suite à la décapitation d’un professeur et qui pose dans PlayBoy drapée dans un drapeau français. Que cette nullité et cette obscénité ne fassent plus sens, voilà le mal le plus profond de l’époque. La visée finale est bien celle d’une disparition de l’homme.
Alors que faire de cette honte ? Que faire de cette indignation légitime qui s’exprime sous les radars de la société du spectacle et qui touche des millions de français de tous bords politiques ? Qui pour ne pas se sentir heurté par une telle dévastation ? Peut-être ceux qui occupent aujourd’hui le faux centre d’un pouvoir qui fait honte aux français, un pouvoir qui, faute de légitimité, ne peut plus avoir recours qu’à la violence. Toutes ces représentations sont à proprement parler inimaginables. Comment leur répondre ? Le lendemain de la mise en ligne de cette page apparaissent des #renflementbrun ou des #dilateecommejamais. Retour à l’envoyeur. Bruno le phallo avec son vide imaginaire se trouve même invectivé dans la rue : « dilatée comme jamais, dilatée comme jamais, Bruno ! ». Inutile d’en dire plus, tout est dit. Il baisse un peu la tête et rentre dans sa voiture de fonction entouré de ses cerbères à oreillettes. Glauque.
Au-delà de la partition entre sens et non-sens, nous voilà désormais dans un univers de pastiches et de parodies, très au-delà du seuil critique. Que reste-il à discerner encore ? Casserolades, pantalonnades, renflements bruns, dilatations comme jamais, tout fait ventre quand le vide et l’obscénité tiennent le centre de l’édifice. Inflation catastrophique, chaotique, sorte de collapse au ralenti de toutes nos significations. Difficile d’évaluer la profondeur de cet effondrement. Plus le centre est vide, plus la coquille est répressive, violente, arbitraire. Pour tolérer le « dilatée comme jamais » d’un ministre de l’économie et des finances qui violente le peuple, il faut masser des milliers de CRS, n’importe où, n’importe comment, à n’importe quelle heure, à n’importe quel prix. Tout se tient.
Nous avons besoin d’une contre-puissance imaginaire qui étale au grand jour leur vacuité. Dans cette immense déchetterie d’obscénités, dans ces « séquences délirantes » (Baudrillard), dans cette extension tératologique du domaine de la farce obscène et de la terreur, que nous reste-il ? Notre tâche est, au fond, très simple à formuler : rompre le lien de complicité qui nous lie, pour des raisons bassement matérielles et conformistes, à cette nullité ? Dans La peau de chagrin, Balzac fait dire au vieillard dans le cabinet de curiosités : « Que reste-t-il d’une possession matérielle ? Une idée . » Que reste-t-il lorsqu’il n’y a plus d’idées ? Le néant. Alors nous réagissons et les renflements bruns, les anus dilatés et les Schiappa playmate sont à l’affiche. Épingler le vide pour répondre partout à sa violence. Casserolades contre obscénité, rien n’est encore joué. Coller des documents, mettre en rapport des saletés que le spectacle insignifiant présente comme séparées et gouteuses, rompre l’inattention et prendre le risque d’apparaître comme un malotru, un vulgaire polémiste. Montrer, faire voir, obliger à voir, contraindre à voir. Il est temps de répondre à ceux qui ont le monopole de la diffamation légitime en produisant des actions expérimentales qui réveillent « les consciences ensoleillées » (Artaud) et les euthanasiés du sens. Politiquement, ce n’est même plus un problème de partis politiques mais de dignité. Oui, nous avons un intérêt pour la morale et le sens de ce que nous faisons. Nous sommes aussi responsables, contrairement à eux. Cette responsabilité ne peut pas se prévaloir de titres ou de diplômes. Elle n’est pas normalienne et il est inutile d’être énarque pour l’exiger. C’est très bien ainsi.
Le peuple, avec ses casseroles et ses inventions, ses astuces et ses mises en scène, son courage, retrouve une puissance que les obscènes du spectacle répressif ne peuvent pas comprendre. C’est beaucoup trop fort pour eux, beaucoup trop fin, beaucoup trop collectif, bref, beaucoup trop puissant. Ils ne voient que la casserole quand nous sommes déjà passés à l’idée depuis longtemps. Mais ils savent aussi dans leur lucidité clignotante qu’il y a là quelque chose de fatal pour leurs petits commerces foireux. Alors ils soutiennent les plus violents d’entre eux et justifient la répression de la vie. Ils se révèlent dans leur violence, cette brutalité qui a toujours été l’arme du faible contre les vrais créateurs. La littérature, l’erotikos socratique, appartient à ces créateurs. Les autres n’auront droit qu’aux renflements bruns qui délimitent le lieu précis de leur vacuité.
Harold Bernat
La beauté est jusqu’à un certain point quelque chose d’assez subjectif. Ceci dit. cette réserve faite, je lis médusé, je suis sans voix. Longtemps que je n’ai pas lu un texte aussi beau, (c’est le mot qui me vient mais qui ne dit pas exactement ce que je voudrais dire. Me vient en même temps à l’esprit un instant l’image d’un chercheur qui regarde au microscope une cellule et en fait la description d’étaillée. Il dit ce qu’il voit, rien de plus, avec la précision d’un tailleur de diamants. On n’a rien à rajouter. La beauté d’une description objective. Restent les conclusions scientifiques qui en résultent. Et à terme le diagnostic qui va décider du sort du patient. Ici, pour l’anecdote, pas de doute il y a cancer)
Quelle est la nature de cette beauté. Elle réside dans la liberté de ton. C’est ça, la liberté ici est totale et coule naturellement. J’en reste bouche bée. Mais pas que la justesse de l’analyse, la crudité provocatrice du texte d’un certain Bruno, décortiqué _ privilége exorbitant_ finement. ( On est en droit d’exiger puisqu’on y est, pour couronner les 100 jours, un texte du même acabit du chef de la bande, non? Dans un ultime pied de nez fait au peuple).
Ce texte comme les précédants, pour moi, semble inaugurer quelque chose de nouveau, ou peut être renouer avec quelque chose d’ancien, caractéristique un peu de ce pays, la liberté de langage. ( Une telle prose en Turquie, impensable, c’est le niouf assuré dans l’heure, ou pire même. Aux Etats-Unis, je pense on ne sait pas écrire ainsi, on ne peut pas. En Europe où, en Italie peut-être). L’auteur prend la mesure de la situation que nous vivons avec les mots, le style et le niveau d’analyse que réclame le moment. A travers lui un autre monde se dessine, une page de l’histoire est symboliquement _ est cela n’a pas de prix _ déja tournée et anticipe, donne à voir la suite. (Les politiques nous barbent trop souvent_même ceux que nous soutenons _ à longueur de discours, pratiquement toujours le même, avec un style stéréotypé et une argumentation poussive. Je pense à l’eternel « bénévolat » où sont cantonnés les retraités, par exemple. Les politiques, les experts ou prétendus tels…).
Prend la mesure , non. est spontanément dans le ton qui convient, Le style est alerte, avec un regard jovialement sans concessions. Un vrai régal. Que ne puisse-t-il faire école, et d’autres se hisser sinon à celui de son talent, au niveau de son discours. (Je pense toute `proportion gardée, dans un autre domaine à un certain texte de Damien Saez). C’est tout le mal que je souhaite à cette société. Ceci est la première impression d’un texte, avec cet auteur, comme toujours important, que, admiratif, je ne peux être tout simplement que lecteur,