Film de Gavras : « Athena, ou la révolte logique »

29/09/2022

Le film de Romain Gavras, acclamé à la Mostra de Venise, n’en finit plus de déclencher la polémique en France, où la représentation des cités est décidément une question inflammable chez les faiseurs d’opinion. Pour le site de QG, Maxence Klein explore les enjeux philosophiques et politiques de ce long métrage produit sur Netflix, qui échappe presque miraculeusement au destin du mauvais film de gauche sur la « question des banlieues ». Une oeuvre à la réalisation magistrale, qui met en scène une insurrection sans horizon révolutionnaire, et interroge les impasses d’une civilisation en train d’agoniser

La sortie d’Athena, le 23 septembre dernier, a suscité maintes polémiques enflammées dans la presse et sur les réseaux sociaux. Le texte suivant part d’un constat simple : si ce film est tant douloureux à gauche, comme à droite, c’est parce qu’il n’ambitionne pas de produire un discours politique, mais qu’il montre toute la violence et la confusion de ce à quoi pourrait ressembler des embryons de soulèvements au XXIe siècle dans l’état actuel des forces en présence.

Romain Gavras est un cinéaste français, réalisateur de 3 longs métrages « Notre jour viendra » (2010), « Le monde est à toi » (2018) et « Athena » (2022)

Le nouveau film de Romain Gavras, diffusé dans le monde entier via Netflix, a pour objet principal de nous mettre en présence d’un nœud de problèmes aussi anciens que terriblement actuels. Aux origines, quand le joug de l’injustice s’abat sur une communauté, les choses sont toujours simples. Il y a la colère d’abord : sourde, inexprimable et cherchant à s’extérioriser. Plus rarement, du coeur de la colère – presque toujours confuse – émerge une violente révolte.

Une insurrection n’a pas toujours besoin de grand discours. Pourtant, si la colère, dans sa forme la plus pure, est un prérequis à toute révolte sérieuse, elle fait aussi malheureusement toujours objet de complications. Comment donc se révolter ? Telle est la question centrale que pose Romain Gavras avec Athena et qui lui permet d’échapper presque miraculeusement au destin du mauvais film de gauche sur la « question des banlieues ». Cette rhétorique qui constitue un lamento bien connu du champ politique français depuis bientôt 40 ans et signale la faillite, désormais achevée, du mythe national de l’intégration socio-économico-culturelle.

De la révolte des banlieues de 2005 au soulèvement de Villiers-le-Bel en 2007, en passant par l’émeute du tribunal de Bobigny pour Théo en 2017 et, bien sûr, du combat de toutes les familles endeuillées par les meurtres impunis de la police française, la question des violences policières, mais plus généralement aussi celle de la ségrégation des quartiers populaires et du racisme structurel que subissent ses habitants, est un symptôme de la déliquescence du compromis fordiste et de l’État social français, d’un passé de la colonisation qui ne passe pas, mais surtout de la radicalisation égoïste des élites politiques, économiques et culturelles.

C’est à partir de ce nœud gordien du champ politique français, qu’Athena cherche à mettre en scène une tragédie fratricide au cœur d’un drame plus large, celui d’une révolte collective à son état de puissance maximale. Fait assez rare dans le cinéma français pour être souligné, Athena est le récit filmé d’une insurrection, celle d’un quartier qui répond à la mort d’un de ses enfants, assassiné par la police. Ainsi, le film s’ouvre-t-il par un plan-séquence d’une fureur exaltante pour quiconque a déjà assisté à un embryon de soulèvement collectif. Il montre, de manière brutale certes, des jeunes fiers dans leur deuil qui, las d’être des victimes, décident de s’organiser pour attaquer un commissariat, y saisir tout ce qu’ils peuvent, dont des armes, pour se retrancher illico presto dans leur quartier. C’est après ces événements qu’un cycle de vengeance s’enclenche : alors que la nuit tombe, le rapport de forces s’installe en nous rappelant qu’une véritable tragédie commence toujours au crépuscule – au crépuscule d’une civilisation.

Affiche d’Athena, film de Romain Gavras acclamé à la Mostra de Venise. Il est actuellement visible sur Netflix

1.   

Qu’est-ce qu’une tragédie chez les Grecs et comment le film de Romain Gavras vient-il en actualiser le motif ?

L’historien Jean-Pierre Vernant a montré comment, chez les grecs, la tragédie est un genre éminemment contestataire dans lequel c’est « la cité qui se fait théâtre et se joue elle-même devant le public. » Ce théâtre tragique est un art qui dénonce pêle-mêle les ambiguïtés de la subjectivité, de la communication, du langage, des idées, des institutions et de l’ordre cosmique même. Ce faisant, le genre tragique invente en même temps un nouvel usage des mythes qui régissent la cité par l’actualisation des problèmes récurrents qu’hommes et femmes peuvent être amenés à rencontrer dans leur propre vie. Si le mythe présente des comportements idéaux, des modèles abstraits de l’agir, au contraire, avec la tragédie, le héros mythique disparaît, il cesse d’être un modèle pour devenir un problème et apparaît alors au spectateur comme un nœud d’antinomies divisées.

Il est vain de chercher un quelconque sens prophétique à la tragédie, car elle ne constitue d’aucune manière une science du futur. Il n’y a pas non plus de catéchisme dans la tragédie. Mais plus encore, le genre tragique ne prend pas part à la délibération politique. Il ne participe pas vraiment à la vie civique. Pour ça, les Grecs ont d’ailleurs inventé un tout autre théâtre, celui de la représentation politique, de l’art de la rhétorique et de son cortège de menteurs patentés, d’ambitieux, de manipulateurs et de pervers narcissiques.

Qu’elle traite de l’amour, de la filiation, de la revanche, de la guerre ou de la paix, la tragédie grecque n’enseigne rien. C’est d’abord un genre qui cherche à magnifier le sens de problèmes concrets par l’usage des symboles. En ce sens, Athéna montre trois frères comme trois possibilités éthiques qui se posent le problème de la réparation : Abdel (le militaire français) croit encore à la justice de ce monde, alors que Karim (le petit frère) entend se venger quoi qu’il en coûte et que Mokhtar (le dealer) se montre prêt à tout pour sauver son business. Ces personnages tragiques présentent des personnalités fragmentées qui affrontent tout un ordre cosmique, éthique et gouvernemental. Celui d’une violence indifférenciée qui s’abat sur les jeunes banlieusards français. De leur deuil impossible et des douleurs intimes de cette fratrie symbolique vont naître une rage impossible à canaliser, dont le cortège de débordement va d’abord contaminer l’ensemble de leur quartier puis, hors champ, la France tout entière.

Athena est donc, premièrement, un film amoral qui ne cherche pas à enseigner une leçon, à expliquer quelque chose ou encore à communiquer un quelconque message politique. Avec un sérieux remarquable, son objet est de poser le problème de la praticabilité de la révolte au XXIe siècle à partir d’un cas précis. Ceux et celles qui cherchent à regarder des films pour avoir des réponses seront inévitablement déçus, car c’est qu’il faudrait, au mieux, être un piètre spectateur, au pire, être stupide, pour demander au cinéma d’offrir des réponses toutes faites aux problèmes non résolus de la justice, de l’égalité et de la liberté humaine. En revanche, celles et ceux qui, chaque jour, essaient de trouver les moyens d’ouvrir des brèches dans l’époque, méditeront encore et encore les tenants et les aboutissements d’un film comme Athena.

Caïn tuant son frère Abel, le Caravage, musée des beaux-arts de Quimper

En montrant tout ce qu’il y a de plus beau et de plus laid dans une insurrection nécessaire, le film entend éprouver chaque spectateur dans ses petites évidences. À la bonne conscience de gauche, il dit quelque chose comme « toi qui nous a abandonné, avec ta soi-disant grande mission universelle, tes fausses promesses et ton clientélisme, regarde la radicalité de la colère indéchiffrable qui nous habite. » À la mauvaise conscience de droite et à son ressentiment, le film hurle une fin de non-recevoir : « toi, ferme ta gueule, si on tuait ton petit frère, tu te vengerais, d’ailleurs tu ne parles que de vengeance à longueur d’année, c’est nous la police maintenant, c’est nous le véritable état d’exception. »

Même si le récit est localement situé dans un quartier périphérique et ségrégué de la métropole parisienne, dans leurs souffrances respectives ainsi que dans la violence de leur martyre, la situation des protagonistes acquiert un statut universel qui fait écho à tous les soulèvements contemporains. De Hong Kong au Chili, du Sri Lanka à l’Iran, de la France des Gilets Jaunes à l’insurrection qui a suivi le meurtre de George Floyd aux États-Unis, la liste des soulèvements contemporains est maintenant trop longue pour être exhaustive.

2.

La barbarie est une invention de la polis grecque, mais cette dernière n’a jamais été le seul modèle d’organisation politique dans la péninsule. La polis n’aurait peut-être même jamais été le modèle majoritaire. En ce sens, l’historien Pierre Cabanes a montré comment, chez les Grecs, s’opposaient communément le modèle de la cité, la polis, et celui de la tribu, l’ethnos. La cité est née dans un monde où les ressources naturelles devaient être pleinement exploitées, dans  « un monde plein » dont l’organisation politique cherche à maximiser l’usage des ressources disponibles. Ce monde plein est en même temps configuré comme un monde clos, avec sa communauté de citoyens fermée à ceux et celles qui ne lui appartiennent pas, ainsi qu’un territoire spécifique à gouverner et des voisins à conquérir. Une communauté donc, qui se définit contre son altérité et se referme sur son terroir, la chôra, mais aussi sur ses cultes et son modèle social, ses sanctuaires pour établir une frontière. Ce petit monde est non seulement clos par rapport à l’extérieur, à l’étranger, mais il l’est également en son propre sein, en ce sens qu’il ne reconnaît pas les mêmes droits à tous les habitants du territoire civique, mais seulement à une part d’entre eux, les citoyens, et exclut tous les autres, les femmes, les esclaves et les étrangers.

À l’opposé du monde de la polis, il y a celui de l’ethnos. Un monde de communautés libres et différenciées qui apparaît très différent dans sa conception du politique. Son organisation collective s’érige contre l’idée d’une fermeture et contre la clôture du territoire. L’ethnos correspond le plus souvent à un modèle pastoral qui a géographiquement besoin d’espace pour organiser les migrations pastorales saisonnières, depuis les zones de plaine où les troupeaux passent l’hiver, jusqu’aux zones montagneuses destinées aux alpages d’été. Cette conception du groupe a donc besoin d’une diplomatie spécifique afin d’assurer les itinéraires migratoires saisonniers. Sa géographie est ouverte, tout comme l’est son attitude à l’égard de ses voisins. Le modèle ouvert de l’ethnos l’oppose radicalement à la polis isolée, si bien que Pierre Cabanes se demande même si la notion de polis n’est-elle pas née, en vérité, de cette crainte du surpeuplement et de cette volonté de fermer une communauté sur elle-même. À l’heure actuelle, ce sont peut-être de tels mondes ouverts qui seront en mesure de s’opposer à la clôture finale du monde du capital et de son cortège sans fin de surnuméraires. 

3.

Dans nombre de cosmogonies, le fratricide est au centre de la création d’un ordre ou d’un monde. Les relations fraternelles mythiques présentent communément deux frères qu’oppose une adversité radicale incarnant des conceptions rivales du monde. L’hostilité qui oppose Caïn, l’agriculteur sédentaire, à son frère Abel, le berger nomade, offre un regard rétrospectif sur les questions et les problèmes qui ont pu se poser aux Hébreux à l’égard de leurs organisations politiques et sociales naissantes.

Le motif des frères ennemis, dans sa dualité, ou dans sa triade comme dans le film, tend inévitablement à faire percevoir une unité dans l’opposition. Abel et Caïn représentent dramatiquement un paradoxe fondateur : la nécessité d’un choix rationnel pour les humains dans la possibilité d’instaurer collectivement un certain type de civilisation. S’ils échouent à vivre ensemble, c’est pour mieux nous intimer qu’un monde réellement juste, un monde matériellement réparé, mettrait aussi en son cœur une éthique de l’altérité. Plus particulièrement, dans Athena, cette opposition fratricide prend forme à partir d’un double moment d’exception dans l’ordre établi de la cité : au meurtre policier du benjamin de la fratrie suit la vacance de l’ordre quotidien une fois la police chassée de la dalle d’Athéna. Une forme d’état d’exception que renforce l’étrange absence de la figure du père et le rapide effacement de celle d’une mère vite évacuée hors de la scène du drame. Dans leur martyrologie, les trois frères sont comme au seuil d’un monde qui est en passe d’être englouti et d’un autre qui peine encore à surgir. En ce sens, l’apothéose autodestructrice que représente l’explosion de leur immeuble, mais aussi le triomphe de la brutalité policière la plus crasse, signalent l’impossible passage de l’état d’une justice vengeresse à une justice réparatrice.

C’est que dans sa fantasmagorie insurrectionnelle, Athena ose nous montrer les limites dramatiques que les révoltes contemporaines rencontrent encore à l’heure actuelle. Le film nous rappelle aussi une évidence que beaucoup semblent avoir oubliée à force de lâcheté et de petits compromis : le chemin qui mène d’un état généralisé d’injustice au règne de l’égalité ne sera jamais sans heurt. L’unité de temps, de lieu et de récit propre au genre tragique tisse ici un cadre dont la violence fondatrice échappe à la mise en scène, mais aussi aux acteurs de la tragédie eux-mêmes. La violence y confine à une dimension mythique de la psyché humaine qui, orpheline d’un mouvement d’auto-émancipation plus large, a aussi perdu le sens du continuum de l’histoire des opprimés. Athena est un film révolutionnaire qui paradoxalement ne parle pas de révolution. Le film montre douloureusement aux spectateurs qu’en l’état actuel des forces en présence, une révolution demeure impossible, malgré le fait que le motif de la révolte fasse bel et bien partie des évidences communément partagées de notre époque.  

Émeute en réaction au procès de l’affaire Théo, jeune victime de violences policières, Bobigny, 2017

Ainsi, il ne fait guère de doutes que les insurgés s’appuient sur le répertoire d’action collective qui a émergé depuis les émeutes de 2005 et qui s’est réactualisé au gré d’éruptions successives. Dans leur révolte, les personnages sont tout sauf des êtres anhistoriques et leur style puise dans les archétypes de la révolte. L’attaque du commissariat réactive ainsi le souvenir de la prise de la Bastille, mais aussi celui de la saisie populaire des canons de Paris, principal élément déclencheur de la Commune en 1871. De la même manière, le serment de protéger la cité et l’allégeance d’autres quartiers à la révolte rappellent le serment révolutionnaire du Jeu de Paume en 1789. Ce qui diffère drastiquement des insurrections passées, en revanche, c’est que les acteurs du film sont tragiquement privés d’un horizon révolutionnaire tangible.

4.

Il y a longtemps que les néolibéraux se sont débarrassés de leur nostalgie d’un âge d’or et il est grand temps que leurs adversaires de gauche fassent de même, sans quoi ils auront définitivement perdu sans avoir même livré bataille. Non sans admiration, nous devons concéder que les intellectuels néolibéraux ont lutté jusqu’à une compréhension plus profonde du caractère politique et organisationnel de la connaissance et de la science modernes que ne l’ont fait leurs adversaires de gauche, et qu’ils représentent donc un défi contemporain digne de ce nom pour tous ceux qui s’intéressent à l’archéologie de la connaissance. En retour, la révolution et son inévitable caractère de bifurcation doivent s’ériger au rang d’une nouvelle science du genre humain.

Des signaux avant-coureurs de la sécession bégayent partout dans le monde, sans qu’ils ne réussissent, pour l’instant, à percer le désert du réel. C’est aussi parce que l’ordre du monde a été confisqué par ce peuple des métropoles qui lui, ne se sent nullement concerné : cette classe d’encadrement composée de décadents qui jouissent égoïstement de leur sursalaire et entendent défendre le pré carré que leur offre la force propulsive de la valeur, et par là aussi du vide des valeurs, cette auto-excitation de dernier homme qui se répand dans la fange d’une eucharistie de l’absence au monde, à soi et aux autres. Les puissances auxquelles nous, révolutionnaires, sommes confrontés sont spirituellement effondrées. Seulement, combattre des zombies n’est pas une tâche plus aisée que de s’affronter à des vivants.

En ce sens, le paradoxe d’un film comme Athena est qu’il documente une insurrection sans être un film politique au sens classique du terme. Car la politique, son mythe de la représentation et son grand-récit du dialogue, ont été destitués par la dictature de l’économie. Dans Politique au crépuscule, Mario Tronti proposait de lire la crise de gouvernementalité qui affecte encore aujourd’hui les démocraties comme résultant de la défaite du mouvement ouvrier. La classe capitaliste et ses affidés n’ont plus besoin de mobiliser la politique de la même manière que lorsqu’un groupe aussi massif que la classe ouvrière s’érigeait en contre-modèle. Avec la défaite du mouvement ouvrier dans le dernier tiers du XXe siècle, la question du gouvernement a été remplacé par celle de la gestion. La politique classique n’a donc pas été destituée par les ondes révolutionnaires des décennies 1960-1970, mais par la restructuration économique qui les a directement suivie.

Un film comme Athena est salutaire, car il montre et démontre à tous les mandarins de l’Empire de l’économie qui se gargarisaient encore récemment de la fin de la politique, qu’elle est pourtant bien de retour sous une forme renversée et par là bien plus dangereuse. La dernière décennie a vu naître une anti-politique globale, fragmentaire dans ses formes, chaotique dans ses revendications, contradictoire dans ses formulations, mais surtout ingouvernable et irrécupérable par les tenants de l’ordre idéologique existant. Si chaque civilisation ressent le besoin d’ériger les altérités minoritaires au rang de barbares, notre époque est saturée de ce genre de mises au rebut inventées par les Grecs. Mais cette saturation révèle une chose : comme l’a récemment rappelé la revue Endnotes avec Onward Barbarians, ces barbares n’ont pas dit leur dernier mot, et la récente vague de soulèvements le rappelle chaque mois à celles et ceux qui savent encore regarder où se loge la lutte des classes contemporaine.

5.

L’utopie semble désormais passée du côté d’un capital qui cherche à asseoir sa domination sur l’entièreté du vivant et dont les idéologues ambassadeurs nous parlent de conquérir d’autres planètes, voire même d’abolir la mort. Pour nous qui sommes révolutionnaires, cette situation nous offre une chance rare : tout ce dont nous avons besoin est déjà là. L’utopie est l’expression d’une temporalité bloquée qui s’invente un faux temps pour se donner une compensation imaginaire.

Elon Musk, fondateur multimilliardaire de Telsa et de SpaceX, ambitionne de coloniser Mars et annonce qu’un jour l’humanité se passera du langage

Pourtant, confronté au caractère apocalyptique de l’époque, c’est comme si seulement deux solutions s’offraient au camp de la justice et de l’égalité : ou bien réinvestir la politique contre l’économie, une solution dite « réaliste » , ou bien l’exode et la grande bifurcation, une solution dite « utopique ». Une telle vision binaire du monde relève cependant d’une fausse dichotomie. S’y rejoue l’histoire d’un couple maudit de l’histoire politique du XXe siècle : « réforme » et « révolution ». Il serait bon de ne pas réitérer cette erreur pour le XXIe siècle. Toute forme de débordement révolutionnaire devra nécessairement passer par l’invention de nouvelles géographies politiques au-delà des fausses oppositions héritées de l’histoire du XXe siècle.

6.

À gauche, on aime souvent faire des reproches au peuple. Il ne serait soi-disant pas à la hauteur des enjeux de l’époque. Si l’inaction des masses est d’abord un mirage au vu des événements de ces dernières années, mais s’il y a effectivement comme un blocage incompressible, nous dirons que le véritable travail révolutionnaire commencera par redonner aux gens des raisons d’espérer malgré le haut degré d’instabilité de la situation économique et environnementale mondiale. Nous disons même que les révolutionnaires doivent en partie consacrer leurs énergies à produire de l’espoir rationnel tangible et à se doter collectivement d’objectifs réalisables.

À l’échelle planétaire, un gigantesque processus de prolétarisation généralisée est en passe de se traduire par une uniformisation cognitive sans précédent, mais aussi par une perte sans pareil des savoirs et des techniques que la communauté humaine avait réussi à acquérir sur des milliers d’années. Une avant-garde de l’économie cybernétique rêve d’un monde entièrement computable et entend réaliser l’anthropomorphose du capital en créant de toute pièce une société de la calculabilité généralisée. Nous voici donc arrivés à une sorte de moment eschatologique de l’anthropocène : ou bien, nous savons réinventer des savoirs ou bien, c’est la fin.

7.

Les révoltes sont toujours logiques. Chacune jouit de sa rationalité propre en même temps que d’une dramaturgie mystérieuse. Un ami me faisait remarquer qu’en ce sens, la force d’Athéna est de combattre l’idée que les acteurs qui ont des expériences étroites et cloisonnées de l’horizon de leurs propres actions ne sont pas moins capable de faire l’Histoire et de générer des effets qui s’étendent bien au-delà de leur portée locale. C’est comme si les protagonistes du film opéraient, tout du long, dans une asymétrie avec le reste de la situation qui les entoure. L’intérêt du film tient à sa volonté de donner à ces jeunes la possibilité d’être des acteurs historiques, des puissances catalysantes, tout en débattant sans complaisance de leur incapacité presque totale à accepter leur vocation d’avant-garde révolutionnaire et de leur manque de préparation devant une telle tâche. C’est en quelque sorte comme si le film était une méditation sur la possibilité d’un soulèvement privé de sujets révolutionnaires ou, pour le dire avec les mots du sociologue Asef Bayat, comme un soulèvement de révolutionnaires sans révolution.

En ce sens, Athena est d’abord un film sur le règne de la séparation à l’époque du capitalisme tardif. On y voit un prolétariat défiguré et morcelé à force d’être marginalisé, tentant, avec difficulté, de survivre dans un monde déchiqueté par une crise civilisationnelle. Les individualités s’y entrechoquent dans un embryon de guerre civile. Tout dialogue est rendu impossible par la multiplication des intérêts contradictoires des protagonistes. Alors que l’idéal de justice républicaine et l’éthique musulmane traditionnelle sont dépassés par la fureur des événements, les émeutiers font le pari rationnel, mais néanmoins suicidaire, du rapport de force avec les autorités. La quasi absence des femmes durant tout le film, quant à elle, souligne, en négatif, l’impossibilité de ces jeunes à produire un quelconque embryon de contre-société. Mais est-ce même leur but ?

Les événements mis en scène dans le film révèlent que le monde dans lequel nous vivons se caractérise par deux aspects superficiellement contradictoires, mais profondément liés. Nos vies sont régies, en même temps, par un ordre gouvernemental radical et par un désordre économique extrême. En France, le macronisme, sa vision personnelle du pouvoir et son éco-technocratisme, avance en détruisant tout ce qui reste des équilibres sociaux issus du passé. Hors-champ, le film montre comme une armée disciplinée progresse dans un champ de ruines, l’ordre économique avançant dans le chaos qu’il engendre. Mais est-ce réellement là le dernier mot de l’histoire ?

Maxence Klein

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16 Commentaire(s)

  1. J’ai attendu d’avoir visionné Athéna pour revenir commenter cet article très fourni et inspiré. Ce film a suscité parmi les commentateurs, comme dans la société, de vives réactions et prises de positions qui montrent que le cinéma peut encore faire débat dans notre société. La vivacité des échanges sur cette page témoigne du besoin et de la pertinence d’un média comme QG et signe sa qualité. Bravo !

    Du film lui-même qu’en dire ? Artiste vidéo, cinéaste et réalisateur-infographiste de profession depuis près de 30 ans, il m’en faut beaucoup pour qu’une image me fasse décoller de mon siège ou qu’une histoire m’emballe. J’ai le plus souvent l’impression de nager dans du déjà-vu et de brasser du convenu. Ce film en dépit de ses qualités indéniables, n’a pas échappé à la règle. Mais il a le mérite d’aborder avec talent un sujet sulfureux et de saisir le spectateur pour porter son regard sur le grill d’une situation sociale explosive, qui pourrait bien nous éclater à la gueule comme le film le décrit.

    Force de réalisme avant tout donc. Le film puise sa facture au « cinéma vérité » et sa philosophie dans l’axiome de Chris Marker, « la caméra est une arme ». Il ne filme pas une grève en usine ou une manif en rue, mais un des lieux où le combat social s’est déplacé, une cité, et naturellement il fait du long plan séquence à la caméra heurtée le véhicule de son regard. On retrouve là l’esthétique de Paul Greengrass qui a élevé cette façon de filmer au rang d’art à Hollywood avec sa trilogie Jason Bourne et Greenzone. Romain Gavras s’en distingue par la plastique (son image, typiquement européenne, puise au clair-obscur), par la structure narrative (une tragédie implacable qui ne laisse aucune échappatoire, là où Paul Greengrass en ouvre une) et par un angle mort qui fait du film une sorte de huis-clos : l’absence de hors-champ à l’image. Où et quand est représentée la société, le reste du monde ? Dans quelques échos médiatiques qui filent entre et dans les dialogues, dans les apparitions fugitives de la Police qui fait le siège de la Cité, lorsque Moktar, le frère dealer quitte la cité avant la prise d’assaut finale, et dans le visage du CRS pris en otage par les embastillés. Autant dire à travers l’œilleton d’un judas.

    Dans ce maelström de violence filmée sans rupture de continuité, où les hommes sont le plus souvent représentés comme des ombres en mouvement, les quelques visages enragés, meurtris, défaits, questionnant le tragique, se détachant du noir comme des lignes en flamme, sont les seules ancres qui arrêtent brièvement le regard un moment et font « image ». Je salue là une intention de réalisation réussie (« faire image » avec un visage n’est pas donné à tout le monde) qui porte toute la dynamique du film et signe probablement la relation intime que le réalisateur a tissé avec ce monde qui n’est pas le sien et comment il le regarde. Happé par ce jeu de flammes désespérées qui animent les contours d’un regard quand celui-ci fait face à la mort et au désespoir.

    Voilà pour la facture filmique. Venons-en à sa lecture critique. Maxence Klein prend l’œuvre par la tête pour en exposer la racine, ce qui court entre ses images du leg de la pensée grecque antique, toute entière comprimée dans le titre du film. Athéna ! J’ai trouvé brillant cet exposé qui m’a pour ainsi dire, plus interpellé et nourri que le film. Des questions qu’il a soulevées et des commentaires qu’il a suscités, je ne commenterai que deux traits pour faire court ici. L’absence cruelle des femmes à l’image et le mot « révolution » impropre à mon sens pour qualifier ce qui est mis en scène.

    Il n’y a rien de révolutionnaire ici. Il y a embrasement, colère, violence, révolte, désir de justice et de vengeance, affrontements,… mais point de révolution. La construction du film est d’ailleurs très claire là-dessus : il s’ouvre avec la déclaration à la presse d’Abdel, celui des trois frères qui est le militaire de carrière, et se clôt dans la dernière partie, avec son revirement qui donnera au film, et son apex et sa catharsis. La boucle est bouclée : Athéna n’est pas un film révolutionnaire. Le jeune meneur de l’action crie lui-même au beau milieu du film (son point de non-retour, un truc de scénariste), ce dont il est question ici : « on n’est pas là pour s’amuser, on est en [plein film de] guerre ! »

    Film de guerre donc, sur fond de colère sociale et de révolte des plus jeunes. Il y aurait beaucoup à dire sur cet aspect, comme sur le mot « révolution » repris et développé avec brio par Maxence Klein dans son article. Mais ce qui signe son genre, outre les armes et le feu de la violence, c’est l’absence des femmes à l’image. A peine 5 apparitions fugitives dans tout le film, dont trois visages effleurés dans la foule en introduction, dans le travelling qui nous amène au jeune frère Karim et son cocktail molotov. Un plan qui dit à lui seul que les femmes sont ici prises en otage. La seule femme qui fait personnage sur les 1h37 du film (exactement la même durée que « La Haine » de Kassovitz soit dit en passant), est la mère des trois frères, filmée brièvement de dos lors des obsèques du plus jeune fils, et qui s’invite dans un plan furtif avant l’assaut final sur l’écran d’un téléphone portable avec le vocable « Maman » écrit en toute lettre suivie d’une supplique entendue dans sa voix. Si je lie cette séquence à celle du jeune Karim torse nu cheveux longs qui s’avance rougeoyant à la tête de ses hommes pour défier la force policière avec ce visage « christique » (Romain Gavras a en commun avec Godart de connaître et s’inspirer de la grande peinture pour donner force à ses images), je dirai que la femme est renvoyée dans ce film à la figure de Marie impuissante pleurant sur les pieds de Jésus.

    Qu’en déduire ? Que c’est un film de mecs ? Pour une œuvre qui porte le nom de la plus élevée des femmes dans la culture grecque et qui symbolise à elle seule, la Démocratie et la défense de nos valeurs politiques à une époque où elle vacille sous les coups de butoirs de l’Histoire, ce choix de réalisation est pour le moins osé. Je ne peux pas ne pas y voir une forte intention de la part de son auteur, d’autant qu’il porte dans son nom et son histoire personnelle, cet héritage.

    J’aimerai l’entendre se prononcer sur la question. Loin de moi l’idée de lui faire un procès d’intention, son œuvre est pensée. Mais ce que j’en retiens personnellement, outre tout ce qu’il suggère de la banlieue et ses problèmes, de la faillite de notre système politique et ses ravages, c’est le constat suivant que j’ai fait mien il y a bien longtemps : misère malheur et destruction, voilà ce qui attend ce monde s’il s’obstine à s’enfermer dans sa logique guerrière sans participation première des femmes à la vie sociale, ses drames et ses problèmes. Car avant d’être le symbole de la stratégie guerrière, Athéna est avant tout symbole de sagesse et de vertu, n’est-ce pas ? Et si elle s’élève en titre sur ce film, qui se clôt sur la destruction de la cité qui porte son nom, destruction suicidaire causée par de jeunes mâles en proie à la colère et la vengeance, c’est peut être pour signer ce qu’il adviendra du monde si on perd le fil de la femme et de son intelligence : l’effondrement.

    1. J’ai interrompu l’écriture de mon com laissant en suspens la Question qui sourd de mon propos : quel visage, quelle tournure et quelle issue pourrait donner une révolte (une révolution commence toujours par là), décidée, conduite et menée par des femmes ? Je ne fais là que convoquer l’Histoire. Ce sont les femmes qui se sont rendus à Versailles en 1789 pour réclamer du « pain » . Et c’est le mot d’une femme qui a fait basculé en retour les forces du pays dans la Révolution : le mot « brioche ». Quel outrage du Pouvoir fera sortir de leurs gonds ce qui fait vraiment force en ce peuple depuis toujours ? Quand les femmes se lèvent…

    2. Merci Eric pour ce commentaire qui finalement m’aura motivé à regarder le film à mon tour.

      Sur l’esthétique du film, sans être autant expert que vous, je dirais que la réalisation est dans l’air du temps, fleurtant avec le clip de rap par moment notamment la scène du début des jeunes s’enfuyant en voiture avec le drapeau français, on aurait dit le clip de Vegedream « ramenez le coupe à la maison », (dans la réalité on peut se demander si les jeunes auraient hissé la bannière tricolore mais c’est une autre question). Ou bien quand les feux d’artifices explosaient de partout. On peut remercier Netflix de devoir produire plus d’œuvres en France, nous offrant ce film qui à mon avis n’est pas phénoménal sur la forme mais reste potable, et doit beaucoup à l’interprétation des 3 personnages principaux, les 3 frères qui s’en sortent bien.

      Sur le fond, je partage votre avis « Il n’y a rien de révolutionnaire ici ». Sur la question des femmes, parmi les émeutiers, il y a une femme « celle qui va chercher le Tropico » et qui est présente lors des émeutes. Il y a aussi la sœur des 3 frères qui soutient la révolte et qui a un dialogue intéressant avec son frère. Mais au delà et sans vouloir faire mon Zemmour, je dirais que le film sombrant dans l’émotion et le pathos, est un film où les femmes ou plutôt la féminité est omniprésente (les frères qui pensent à leur maman, le CRS qui pense à sa fille par exemple). Je ne dirais donc pas que c’est un film de mec, mais un film conforme à l’époque où les frontières entre genre sont troubles.

      Même si de nos jours il existe des bandes de filles violentes (quasi exclusivement envers d’autres filles). Je pense que le réalisateur pour ne pas sombrer dans des revendications féministes qui auraient brouillé son message et peut-être fait perdre en crédibilité ce qu’il voulait restituer (et donc perdre des spectateurs) a pris le parti de se focaliser sur les personnages masculins (les 3 frères) et les groupes d’hommes (émeutiers, policiers). Il nous a fait grâce d’une présence féminine superflue car reconnaissons que par exemple lors des émeutes de 2005, on a vu peu de filles affrontés les policiers ou de policières affrontés les émeutiers. Le film ne tourne pas autour d’une manifestation mais bien autour de la violence qui est plus souvent associé aux hommes et aux jeunes hommes en l’occurrence.

      C’est là où je pense qu’il faut voir le film comme un cauchemar d’adolescent s’affranchissant du réel pour imaginer sa cité en feu dans un délire avec ses potes où la confrontation avec les forces de « l’ordre » débouche sur sa mort et celle de ses frères. Ici la réalité n’a plus court et on est loin du réalisme cru et en noir et blanc de la « Haine » qui bien que surfant avec l’onirisme (cf. la vache) est enraciné dans la réalité et une recherche du vrai. On pourrait penser qu’à la fin Karim se réveille et va à l’école.

      Loin de moi de vouloir faire une analyse freudienne de ce songe que j’ai trouvé bien puéril car ne débouchant sur rien au final. Sauf peut-être un avertissement sur le péril de l’extrême droite qui cherche à embraser la France (mais là aussi le film est un peu vide résumant l’extrême droite à un symbole sans que l’on comprenne bien qui ou quoi, d’autant que la croix celtique est aussi un symbole religieux pour les celtes). Mais je pense qu’il faut y voir des peurs de l’époque sur « le climat de guerre civil » constamment relayé par les chaines de désinformations (qui sont présentes). Sur l’éclatement des structures familiales (les frères n’étant pas solidaires et pire vu qu’ils se battront les uns contre les autres). Et enfin la représentation d’une jeunesse déboussolée qui n’a plus conscience de la réalité et qui vit au travers des portables, des réseaux, presque dans un film…

      Ce manque de réel du film m’a un peu perdu et je n’ai plus cherché le lien avec la vérité. Car au final on est loin de la réalité des banlieues et des banlieusards qui même lorsqu’ils sont jeunes ne sont pas tous des écervelés sans considération pour leur vie ou celle de leur quartier. Il faut raison gardé, des jeunes (et moins jeunes) avec si peu de considération pour leur vie ou celle d’autrui, c’est le propre des films de super héros/vilains US où les gens meurent pour rien et s’en foutent, ce n’est pas le monde réel. Il y’aurait beaucoup à dire sur la réalité des banlieues mais ce serait trop long. Par exemple rappeler qu’hélas les enfants meurent souvent en raison des rodéos sauvages et sont écraser par des motos ou véhicules. Qu’il n’y pas d’unité de fait dans une banlieue entre les habitants qui ne sont pas homogène. Qu’il n’y a hélas pas besoin de braquer un commissariat pour se fournir en arme de guerre, et qu’une AK47 couterait dans les 1500 euros et qu’avec la guerre en Ukraine on ne peut que craindre que le marché des armes connaisse un boom comme ce fut le cas après la Yougoslavie….et que des enfants, des ados, des innocents sont victimes de balle perdues dans une relative indifférence de l’opinion et des responsables politiques (on peut citer Marseille par exemple).

      Quant au film, il faut rassurer ceux qui pensent que cela pourrait être vrai, c’est très peu probable. D’abord la police (au sens large, unités spéciales comprises) rentre comme elle veut quand elle veut dans les banlieues, il lui suffit de s’en donner les moyens (choses qu’elle fait plus souvent qu’on le croit). Les banlieusards ne sont pas fous au point de risquer leur vie pour rien, si une bavure policière peut mettre le feu au poudre, je pense que les causes des émeutes sont beaucoup plus profondes et complexes (c’est le vide intersidéral dans le film, par opposition par exemple à la Haine), et qu’hélas à intervalle régulière elles sont systémiques compte tenu du traitement qui leur est fait. En gros chaque génération à la sienne et je doute que ce soit cela qui empêchera de dormir les dirigeants qui savent que dans ces lieux du bans, certains vivent l’enfer sur terre (chômage, précarité, drogues, prostitution, malades mentaux en liberté…) mais que dans cette autre France qui pour certains n’est pas la France, le sort de ces gens qui ne sont rien, n’est rien, d’où sans doute le vide du film et de ce cauchemar.

      Ma scène préférée est quand les émeutiers sont sortis en slips et alignés à genoux les mains sur la tête. Scène qui n’est pas sans rappeler les 151 lycéens qui ont été humiliés de la sorte dans la réalité (bon eux ont gardé leurs affaires). Et là aussi dans une relative indifférence générale, comme un air de colonie… je comprends que cet adolescent choqué ait rêvé cette scène mais hélas celle-là était bien vraie.

      1. Merci pour cette réponse qui m’a fait réfléchir notamment sur un point récurrent de votre commentaire : le côté « cauchemard d’adolescent » du film et son décalage par rapport au réel, que je n’ai pas saisi tout de suite car masqué par le « réalisme » de la réalisation. Il y a en effet une sorte de fantasme dans ce film, l’envie rageuse d’en découdre avec la police, qui fleure bien l’hormone adolescente.
        Romain Gavras n’en est pas à son premier coup d’essai. Sa fascination pour l’hyper violence des jeunes de banlieue ne date pas d’hier. Je ne retiendrais de ce film que les quelques plans de visages qui questionnent le tragique à la mode clair-obscur en miroir de cette violence omniprésente. Je suis las de la représentation de la violence à l’écran, elle m’ennuie et son envahissement sur les écrans signe pour moi comme la mort d’une certaine image et la mort annoncée d’un certain cinéma. Celui que Romain Gavras incarne aujourd’hui avec ce film qui a obtenu le lion d’or à la mostra de Venise.

        1. Je pense que beaucoup d’éléments penchent pour considérer que le film n’est qu’un cauchemar d’adolescent. On pourrait rajouter à ceux déjà cités que des ados qui prennent le contrôle de leur cité c’est juste un fantasme, dans la réalité il y a un respect des ainés en banlieue (enfin ça fait longtemps que je n’y ai pas été. Peut-être que cela à changer ? tout se détériore), et je ne vois pas dans quelle banlieue de France des ados pourraient dicter leurs ordres aux grands ou aux anciens ? (c’est une père de claques de leurs parents ou leurs grand frères qu’ils se prendraient. En tout cas jamais un papa de la vieille époque, papa du bled, ne se ferait dicter quoique ce soit par un ado). Et d’où sortent-ils la quantité phénoménale de feux d’artifices utilisés ? (qui par ailleurs reprennent le vert/blanc/rouge pour faire référence à l’Algérie ?). Le film fait ressortir ce que Freud appelait « des névroses ». Il serait à mon avis intéressant d’avoir l’avis d’un psychiatre sur celles-ci.

          C’est le premier film que je vois de Romain Gavras (je crois), la sensibilité à la violence variant d’une personne à l’autre. Je ne l’ai pas trouvé particulièrement gênante pour ma part, il faut dire que beaucoup de choses sont suggérées et pas montrées à l’écran comme le tabassage d’Abdel sur son frère dealer que l’on suppose mortel. On est pas là du niveau de Tarantino ou d’un film d’horreur. C’est assez soft (pour moi en tout cas). La scène où il utilise le flashball m’a fait penser à Jackass.

          Au final je trouve très généreux qu’il ait reçu le lion d’or.

          Par exemple qui pourrait ressortir une phrase culte du film ? Autant pour la haine que j’ai revu certains dialoguent restent poignants et on peut retenir des phrases comme « on est enfermé dehors » sentiment que beaucoup de banlieusard qui ont raté le dernier train ont ressentie, « je ne cours pas plus vite que les balles » (si tant est qu’elle n’est pas issue d’un film US), « ta mère elle boit de la Kro »… Là c’est le vide. Et finalement c’est conforme à l’époque. C’est un peu de l’art contemporain, c’est à dire un art vide de sens tant dans le formalisme et le fond et qui ne se base plus que sur la technique (l’informatique…) pour procurer quelques émotions .

          Personnellement je regrette que les jeunes de banlieues soient encore les victimes de cette caricature. S’il y a bien un lieu en France où la parole est riche et fleurie c’est bien la banlieue. Il y a toute une richesse de la banlieue qui ici n’est pas représentée et que l’on retrouve par exemple dans la musique issue de la banlieue (ce qui me fait penser que le film ne l’utilise pas et reste sur du classique pour créer de l’émotion). Au final s’il n’avait été assisté par des coauteurs de banlieue (dont on se demande bien quel a été l’apport car il a bien raison de dire qu’il s’agit d’une sorte de film universel qui pourrait aisément changer de cadre social, de pays ou d’époque…il aurait peut-être été plus pertinent dans une favelas ?) on pourrait se demander s’il n’y a pas une récupération de la banlieue, mais dans quel but ? gagner des prix et se faire un nom ? quid de la banlieue donc ? est-ce que ce film ne risque pas de faire passer la jeunesse de la banlieue pour des débiles une fois de plus ?

          1. Un grand merci à vous pour cet échange et ses propos plein de sens.

            Le film de Gavras junior m’est apparu comme un film de facture classique, formaté pour ainsi dire, mais au sein duquel l’auteur a réussi à faire surgir quelques images plans. Rien de révolutionnaire là-dedans, mais une maîtrise que je sais être très difficile à acquérir et que je salue de cinéaste à cinéaste.

            Sur la banlieue je porte un tout autre regard que lui. Vous évoquez la figure des grands frères, des pères,… Je l’elargirai à ce que je nomme « la cour des miracles ». Au cœur de ces lieux vivent des foyers où se partagent ce qui fait peuple en ce monde : la sueur, le sang et les larmes. Les puissants de ce monde ignorent cette proximité là, sa moiteur sa chaleur son réconfort sa dureté aussi comme sa violence crue. Romain Gavras ne le donne à voir que dans le moment des obsèques et il y fait éclater la discorde. Je vois que sa pénétration des lieux mis au ban s’est arrêtée là. Et c’est peut-être la raison pour laquelle il ne filme que très peu les femmes. Elles se sont soustraites à son regard. Il n’a filmé de la banlieue que l’écume rougeoyante d’un soir en flammes.
            Un film ne peut pas tout dire. Il s’inscrit dans une mer d’images. Gavras s’est signé dans la continuité de La Haine de son compère. Mais beaucoup d’autres existent qui nous parlent de la banlieue avec un autre point de vue qui complètent le leur. J’inscris Athéna pour ma part dans cette vaste mer, comme une vue sur écume comme je l’ai dit plus haut. Je me tourne plutôt vers le documentaire porter mon regard au sein de la mer. Mais ce genre est en voie de paupérisation et la fin de la redevance ne va pas arranger les choses. Netflix est américain. Il est important de le rappeler. Faire vivre un cinéma d’auteur en France est devenu une gageure. Romain Gavras a choisi Netflix. Cela signe aussi le film, son point de vue, son regard.

          2. J’ose un dernier commentaire pour illustrer mon propos.
            Tout ce que je dis ici rassemblé en quelques chopines, je le porte dans mes images depuis des années comme en témoigne ce film réalisé en 2019 avec mon comparse de l’époque, à Athènes en Grèce, au cœur du quartier alternatif et avant-gardiste rouge-noir d’Exarchia (voir : « M&K sont allés se faire voir chez les Grecs » : https://youtu.be/VLe0t8-mUd4), dans la foulée de notre participation aux GJ de Bordeaux.

            Filmé et réalisé « à l’arrache » en mode routard avec très peu de moyens, dans une optique « documentaire expérimental » , j’ai choisi de faire parler les murs de la ville pour délivrer mon message. D’où le caractère « tag » ou « graffiti » qui signe mon écriture filmique et ma réflexion sur l’image : montage syncopé, déconstruit pour ainsi dire, lecture « signalétique » des images, prédominance de la bande son… Athena, place de la femme, héritage de la Grèce antique, recours à la violence, révolution, sacrifice de la jeunesse, changement du monde,… Vous retrouvez dans ce film les motifs du film de Gavras dans un tout autre univers. Vous avez dit « Révolution »?

          3. Merci pour cet intriguant documentaire que personnellement je nommerai un collage animé permettant de juxtaposer les images et les imaginaires. Les graffitis qui en réalité sont le plus souvent de vulgaire tags en Grèce semble être un vrai problème de société. On se demande comment les bombes de peintures aérosols peuvent encore y être en vente dans ce pays. Et s’il ne faudrait pas inventer des peintures éphémères qui s’effacent à l’eau de pluie ou à l’air ambient, personnellement je trouve cette pollution visuelle, similaire à du bruit visuel et n’en suis pas du tout fan y compris à Paris qui est aussi par endroit ravagé. Les Streets artistes devraient avoir des zones dédiées pour y faire leur art, quant aux autres, on devrait les forcer à effacer leurs tags avec un pinceau d’écolier et réparer la nuisance qu’ils causent à la collectivité. C’est un coût d’effacer toutes ces horreurs.

            Dans l’absolu je suis bien d’accord avec vous sur le fait qu’un film est par essence une œuvre de fiction pour ne pas dire fictive et qu’il faut raison gardé sur la capacité d’une œuvre filmique a retranscrire toute forme de vérité pour ne pas dire de réalité. Même un biopic est une œuvre de fiction. Même quand elles sont inspirés de faits réels ou essaient de décrire le réel (documentaire) toutes les œuvres ont un parti pris, une ligne éditorial et n’aborde qu’une facette du problème (si tant est qu’à l’instar des fakes news tout ne soit pas faux sous l’apparence du vrai). Loin de moi de dire qu’Athéna n’a pas le droit de cité, et qu’il n’apporte rien au débat, ni n’apporte pas sa pierre à l’édifice.

            Je pense juste qu’il faut avoir du recul sur tout ce qui nous est apporté, partager nos points de vue, et qu’au final chacun se forgera sa propre opinion.

          4. « collage animé permettant de juxtaposer les images et les imaginaires »… Merci. Je reprendrais ce collier de mots que vous m’offrez là pour décrire mon travail.

            Curieuse conjonction. Je suis fan de Graf et de tag. « the words of the prophets are written on the subway walls » chante Simon & Garfunkel et je lis sur les murs des villes, le sourd cri de la plèbe. Dans la ville poussent mille et mille sons. Combien les entendent ? Partout où je passe, je traque ces traces. Paris, Florence, Venise, Rome, Athènes,..

            Les plus beaux grafs fleurissent le plus souvent dans les zones interdites difficiles d’accès . J’ai pisté les traces de Romain Gavras sur les murs du XXeme près de l’atelier de Chris Marker au temps où j’habitais le quartier. J’ai filmé la griffe de Kourtrajmé sur un mur délavé et graffitté. J’ai posé ma marque en retour sur le mur et capté l’instant dans une prise. Retour en film. Ainsi dialoguent les artistes, ainsi voyagent les images. Je suis convaincu pour ma part que le premier des langages fut celui là. Les murs des cavernes portent la trace du sillon des premières images-signes qui ont fait pousser et fleurir en l’ homme le langage. Le trait est l’essence du signe. Il dévisage le vide. Il n’est perceptible en tant que signe qui fait sens que par abstraction. Il a ouvert l’espace de la pensée. De nos jours encore il préfigure toujours l’avenir et je regarde ces manifestations comme la caisse de résonance des profondeurs du peuple. Basquiat est de ceux là. Il a donné à ses images la légèreté de la toile pour voyager mais il peignait comme tel.

            Je ne peux cependant vous en vouloir de préférer voir s »effacer ces « horreurs », je reconnais que tout n’ est pas de qualité et je distingue nettement l’expression artistique du vandalisme. Il y a une philosophie du graffer, proche en esprit de l’art du samouraï, à laquelle tous n’accedent pas et que beaucoup ignorent. Conception chevaleresque très certainement, mais là rue, pour violente et rude qu’elle soit, à aussi ses codes. La perte de ces repères chez les plus jeunes est une réalité que le film Athena pointe du doigt. Livrés à eux même ils sont ici filmés comme la horde de « sa majesté des mouches ». C’est ce que me suggère de relire Romain Gavras avec son film. Ainsi font voyager les images.

  2. Mouais… l’analyse de Maxence Klein bien qu’intéressante est imbibée des utopies de la gauche à savoir l’universalisme des luttes dans le temps (de la Grèce antique voire avant avec Abel et Cain, à aujourd’hui) et l’espace (de la cité au pays, du pays au monde voire au-delà avec Musk qui veut déjà coloniser Mars).

    Cela dit quand on se réfère aux mots de Romain Gavras lui-même sur son film dans l’interview de Jérôme Vermelin pour TF1 Info on peut comprendre la confusion « Avec Ladj Ly, on s’est appliqué à ne pas être dans le fait divers franco-français et à être dans une dimension plus large, plus internationale et presque plus intemporelle. C’est aussi pour ça qu’on l’a construit comme une tragédie grecque. Ça part d’une colère, d’une rage intime, qui va déborder sur la cité, au sens grec du terme, et par extension sur la nation hors champ. On a aussi pensé ce caractère intemporel d’un point de vue visuel, avec par exemple ces créneaux de château fort qui peuvent donner l’impression que le film se déroule dans les temps médiévaux. »

    Disons tout de suite que Romain Gavras est le fils du réalisateur Costa-Gavras qui est grecque (ceci explique cela) et que le film a été écrit avec Ladj Ly ce qui lui donne sans doute sa street credibility. Parce qu’a priori pour Romain Gravas la banlieue c’est ce qu’il voyait au loin quand il prenait le périphérique, D’ailleurs sur la reproduction sociale, les 3 enfants de Costa-Gavras, 2 garçons et 1 fille sont tous réalisateurs. En même temps avec un père réalisateur et une mère productrice, ils baignent dans cet univers depuis leur naissance. A chacun ses chances et ce qu’il en fait. Alexandre Gavras a ainsi étudié le cinéma à la New York University Tisch School Of The Arts. Julie Gavras a fait du droit à Panthéon Assas. Quant à Romain, je ne sais pas quelle étude il a fait (peut-être a-t-il été formé par son frère qui lui a refilé ses cours ?), sa page Wikepedia mentionne juste qu’il est cocréateur du collectif Kourtrajmé avec Kim Chapiron (lui aussi fils de Kiki Picasso…) ce qui est remarquable car en 1994/95 ils n’avaient jamais que 13 ou 14 ans, la précocité est plus aisée dans certains milieux qui ont les moyens. A l’âge des premiers émois pour certains eux avaient d’autres occupations, Tant mieux pour eux et depuis Kourtrajmé regroupe 135 membres actifs et depuis 2018 a des écoles de cinéma. Ce qui dans l’absolu est très bien car cela donne des chances a un public plus large comme Ladjy Ly a qui il faut sans doute rendre aussi hommage pour Athéna, car sans de vrais banlieusards rien de crédible ne serait possible. Il faut aussi rendre hommage à Romain Gavras et Kim Chapiron d’avoir donné la chance a d’autres. C’est peut-être la différence avec un Mathieu Kassovitz (lui aussi fil de) qui n’a par exemple pas crédité Saïd Taghmaoui qui dit avoir participé au scénario de la Haine et que la version finale est très différente de l’originale écrite par Kassovitz. D’ailleurs Mathieu que l’on entend beaucoup comme porte parole d’une certaine France, qu’a-t-il fait concrètement pour elle ? La street credibility… même si maintenant que j’y pense la Haine se passe autant en banlieue qu’à Paris et quelque part n’était pas un vrai film sur la banlieue mais plus sur une France black, blanc, beur dans la France blanche de la police et de Paris intra-muros.

    Or si je ne doute pas que les problèmes d’aujourd’hui, d’hier et de demain, peuvent être simplifiés comme une lutte des classes intemporelle entre des dominants et des dominés. Quand on en vient à la banlieue française et à notre époque, je pense qu’il serait bon de se focaliser sur la singularité de leur situation et des réponses qui pourraient y être apportées, en langage plus vulgaire « chacun ses merdes ». Non que j’ai quoique ce soit contre les prolétaires des autres pays, mais les histoires ne sont pas les mêmes.

    La banlieue française est ainsi l’héritière (déshéritée) de deux continuités. La première est celle des gueux, déshérités de la France éternelle, ceux là qui vivaient en banc de la société, parfois en dehors des murs des citadelle (ils prenaient chers lors des invasions barbares, devait trouver refuge dans des forets…) ou qui vivait à l’intérieure de celle-ci dans des rôles peu enviables, dans la crasse et la boue, au service de leurs maitres. On se souvient du rôle de Jacquouille la Fripouille qui mangeait à même le sol. Ces gueux qui ensuite à l’ère industrielle ont fait l’exode rural et vécus dans des cités dortoirs qui bientôt grâce à la modernité n’allaient plus devoir s’étendre à l’infinie (et rejoindre les beaux quartiers ?) mais pouvait s’élever (non socialement) mais vers le ciel grâce aux immeubles et aux cités HLM. Qui rappelons le sont en théorie une manière très économique de faire vivre les gens (les gueux) avec un minimum de confort. La seconde c’est celle des immigrés essentiellement issus des anciennes colonies mais pas que (il y a eu une immigration européenne Pologne, Italie Espagne, Portugal et plus tard Turque), qui après avoir connu les bidonvilles, accédaient enfin à la modernité avec ces ensembles HLM. A la faveur aussi du regroupement familial aussi, on aurait mal compris que des familles vivent dans la crasse et les bidonvilles dans un pays qui grâce à cette main d’œuvre peu chère avait été reconstruit et était redevenu prospère.

    Ce mélange de descendants de gueux français, de pauvres de l’Europe puis du monde entier, et de colonisés donne la banlieue française. C’est une particularité du pays. Par exemple le pays le plus similaire à la France, le Royaume-Uni a un autre rapport à ses banlieues. Il y a par exemple peu barres HLM (concept qui a plutôt été exporté avec succès en Russie et en URSS, merci la France pour cette invention remarquable qui néanmoins dans un pays aussi froid que l’URSS permet à leur descendants d’esclaves de passer l’hiver au chaud) mais des cités dortoirs où d’ailleurs les communautés ne se mélangent pas, les blancs entre eux, les indiens entre eux, les Jamaïquains entre eux…c’est le communautarisme anglo-saxon que l’on retrouve aussi aux USA.

    En France dans ce gloubiboulga comme le ver était dans le fruit dès le début, il a été très facile aux classes dirigeantes de monter les pauvres des banlieues les uns contre les autres. D’abord entre les souchiens et les européens (les ritals…), puis les européens et les non européens, puis les blancs et les noirs, les femmes contre les hommes, puis les musulmans contre les non musulmans, les assimilés contre les non assimilés…. et avec des traitres, des transfuges de ces banlieues ou assimilés qui à l’instar d’un zemmour (il est loin d’être le seul) pour passer de l’autre coté sont près à toutes les compromissions, il leur est très facile de fracturer cette masse de gens qui à part la misère n’a pas grand chose en commun par ailleurs. Mais n’oublions pas aussi que le pouvoir a toujours cherché à casser les moindres velléités d’organisation de ces masses, c’est par exemple le matage des groupements de travailleurs, la corruption des syndicats (qui eux aussi pour quelques avantages ont lâché leur classe), puis le matage des immigrés avec une focalisation actuelle sur l’Islam et les musulmans. On voit bien que tout est fait pour que les musulmans français ne s’organisent pas, on interdit les mouvements politiques, on pond des lois anti-communautariste (loi contre le séparatisme…mdr qui a cloitrer les gens dans ces zones de misère et de chômage, d’injustice ? qui les a séparé dès leur arrivée ? et dans le même temps les politiques vont au diner du Crif ou dans leur loge maçonnique et ne voient pas de problème, après tout eux sont de l’autre coté, ils ont le droit, ils ont tous les droits) et on développe l’islamophobie avec des clowns comme Zemmour qui sont en mission pour leurs maitres (c’est une sorte de Jacquouille des temps modernes quand on y réfléchit),

    Et au final comme l’a justement souligné l’article « le pari rationnel, mais néanmoins suicidaire, du rapport de force avec les autorités. » est la victoire de la classe dirigeante et le maintien des injustices. Et c’est là où il faut bien comprendre que ces inégalités en Europe entre des nobles (qui au fil du temps et des révolutions seront remplacés par les bourgeois ou plus souvent ils feront de beaux mariages) et les gueux ne date pas d’hier. Il date d’autant moins d’hier qu’il est à l’origine d’une exode massive des pauvres européens (qui comprenant qu’ils n’auront jamais leur chance dans ce système verrouillé) vont émigrer aux USA « Land of the Free » et vont s’affranchir de l’archaïsme médiéval des castes et injustices de la veille Europe (bon depuis les USA ont eux aussi vieilli et ont aussi leur nobles et classes/familles dirigeantes). Inutile de dire que ces injustices en Europe perdure et Von Der Leyden est un cas d’école, il suffit de se référer à son histoire.

    Et qu’a-t-on vu lors de l’exode des gueux européens aux USA ? Ils ont aussi reproduit les injustices dont ils étaient victimes contre les indiens et contre les noirs et après contre d’autres comme les exclus qu’ils laissent crever. Autre exemple les Huguenots persécutés en France n’ont pas hésités à persécuter les noirs en Afrique du Sud et participer à l’apartheid. Tout cela pour dire que bon les théories de classe c’est bien beau, mais si on ne se rend pas compte qu’il y a quelque chose de pourrie chez l’être humain, et qu’il y a une complexité, on passe à mon avis à coté de la réalisation que les problèmes sont avant tout au niveau de l’individu (ce qui après les rend universels) et qu’il convient d’améliorer l’individu si on veut les résoudre. Parce que par exemple les victimes banlieusardes ce sont aussi les même qui parfois dans leur pays d’origine vont être à la faveur de leur richesse relative les agresseurs des locaux. Ce sont aussi elles qui martyrise une partie de la population des banlieues (avec des proxénètes qui mettent en vendent leurs sœurs, avec des dealers qui font vivre la terreur). De sorte que il est illusoire de croire que la banlieue est une classe à part entière. Il y a des humains avec ce que cela à de bons et de mauvais.

    Au final la solution pour les exclus du système est peut-être de faire comme les ancêtres et partir. Bon les USA selon Trump (lui aussi descendants de gueux allemands qui ont réussi à trouver l’ascension sociale que l’Allemagne ne leur avait jamais donné de l’autre coté de l’Atlantique. D’ailleurs le père Trump a fait fortune dans les logements pour les pauvres) sont full mais peut-être qu’à la faveur d’un décollage économique de l’Afrique certains pourront partir (d’ailleurs certains l’ont déjà fait) ? Si l’Afrique de demain pouvait représenter pour les exclus d’europe la même chose que les USA d’hier ce serait drole.

    Quant aux banlieues elles sont dans un tel état de délabrement que je ne vois pas ce qu’il y a à espérer dans cette veille Europe et cette veille France ? A part servir d’épouvantail et de distraction pour rappeler qu’il y a pire aux classes moyennes (ou ce qu’il en reste). Ce sont des zones qui hélas sont vouées à être récupérés par le système d’une manière ou d’une autre, en bien ou en mal, et dans lesquels rien de fécond contre celui-ci n’émergera jamais. En d’autres termes ce n’est pas là que ça se passe. A l’instar de ceux qui tiennent les murs et n’ont rien à faire, il faut arrêter les fantasmes sur les banlieues, ce sont des zones d’ennuie, de misère et d’injustices, de souffrance (sous-france).

    1. Quelques nuances sur mon précédent post :

      1/ Quand je dis qu’il serait drôle que l’Afrique représente la même chose que les USA d’hier. Je veux bien dire en tant que territoire de liberté et d’opportunités pour les gueux exclus de l’Europe des banlieues (notamment ceux de descendance africaine). Je ne fais nullement référence à l’extermination des locaux par les émigrants. L’extermination des africains par les colons a déjà eu lieu et on ne peut qu’espérer que l’Afrique est à présent immuniser tout comme le monde de tant de Barbarie (rappelons par exemple les crimes de Leopold 2 roi des belges au Congo). Même si hélas le génocide au Rwanda (dont la responsabilité de la France est obscure) ne peut que rappeler que rien n’est jamais gagné et qu’il faudra toujours rappeler aux africains que leurs ennemis (d’ailleurs qui souvent se confond avec ceux des banlieues, qui pour certains ne sont ni plus ni moins qu’une colonie intérieure) useront de leurs dissensions pour les coloniser ou faire qu’ils s’entretuent. Et qu’ils ont aussi leur lots de transfuges traitres;

      2/ L’Europe a aussi été une terre de liberté et d’opportunité pour les migrants. Notamment ceux qui ont fuit des pays gouvernés par des régimes tyranniques, ceux qui ont fuit la misère. Et qui ont pu même lorsqu’ils vivaient en banlieue, recevoir une éducation, faire des études, et progresser socialement. Ce que l’on pourrait plus reprocher à l’Europe, ce sont des inégalités systémiques faite de reproduction sociale et de stigmatisation de l’étranger, des pauvres (« sans dents », « illettrés », ceux qui ne sont rien…) qui comme dit dans mon précédent post ne date pas d’hier. Il existe certes en Europe une xénophobie, une discrimination sociale (des sortes de castes en réalités). Et la conséquence c’est l’état déplorable des banlieues, mais aussi l’existence d’un plafond de verre pour ceux qui veulent en sortir et qui sont souvent rappelés à leurs origines ou pire à qui on propose de devenir des transfuges traitres et de se retourner contre ceux qui n’ayant pas les mêmes facultés intellectuelles, physiques, ne peuvent quitter la banlieue;

      3/ Concernant la représentativité des musulmans de France ou en France, le point était de rappeler à ceux qui se gargarisent d’idéaux démocratiques et qui aiment donner des leçons à la terre entière, que s’ils étaient si démocratique, opprimeraient-ils autant les musulmans ? et les musulmans ne seraient-ils pas plus représenter (et moins victime de la vindicte populaire des médias du système) ? C’était juste un exemple pour leur montrer leur hypocrisie et que les banlieusards sont bel et bien stigmatisés et victimes d’injustices avec l’éclairage des musulmans. Le point n’était pas de faire l’éloge d’un « islam politique » qui outre qu’être bien souvent une insulte à la religion qu’est l’Islam et encore plus souvent un moyen de manipulations des masses musulmanes par des régimes obscurantistes et par leur sponsors au rang desquels on peut citer la CIA et le MI6 entre autres. Aussi il est sans doute préférable que les musulmans français ne tombent pas dans le panneau d’être les marionnettes d’aspirations étrangères à leurs revendications. Il est clair que dans le climat islamophobe actuel qui transcende les répercussions regrettables ici des difficultés du monde musulman et qui voit ressortir une vieille haine de l’Islam tant par les laïcistes dans un combat plus large contre les religieux (mais l’Islam en particulier) et des catholiques zombis pour citer Todd, qui eux rejouent les croisades et veulent relancer la pratique de leur religion tombée en désuétude avec un antagonisme avec l’Islam qui a le tort d’avoir des pratiquants qui fréquente ses lieux de cultes (jalousie quand tu nous tient, qu’ils se rassurent il y a presque autant de musulmans zombies que de catholiques zombies si ça peut leur faire plaisir. J’ajoute que s’ils pouvaient s’occuper des crimes de la chrétienté et de ses textes au lieu de toujours parler de l’Islam qu’ils ne connaissent pas et ne comprennent pas, cela fera des vacances à tout le monde ). Il est certain que l’Islam en tant que religion ancienne et rependue dans le monde contrairement aux caricatures funestes et mensongères qui en sont faites, n’est pas un projet politique mais religieux. de sorte qu’il existe plusieurs pays musulmans avec des différences dans la pratique, mais au delà des patries différentes et des projets politiques différents (si bien que l’on a vu comme pour la chrétienté des guerres entre nations musulmanes). La politique est une chose et la religion une autre. Cela est vrai pour les musulmans aussi, en tout cas pour une grande partie aussi. Et pour les musulmans français à l’instar des musulmans de Russie qui aujourd’hui se battent en Ukraine pour leur patrie, ou aussi des musulmans qui sont morts pour « la France » dans le passé, il n’y a pas de traitrise ou de 5ème colonne (d’ailleurs c’est une vieille maladie européenne que d’accuser les gens d’autres religions d’être des traitres, des envahisseurs, on l’a vu en France avec les protestants et Allemagne avec les juifs par exemple. Comme on dit quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage). Par ailleurs si les français veulent trouver des français traitres à leur patrie, je pense qu’ils en trouveront sans peine en dehors de la communauté musulmane, des gens qui parfois ont des postes à responsabilités et qui ont pactisé avec l’étranger contre leur pays. Bien souvent c’est celui qui dit qui est. Quant aux musulmans français ils aspirent à pratiquer leur religion (pour les pratiquants) dans le cadre républicain et au respect (notamment pour tous les assimilés à la religion qui dans bien des cas n’en n’ont qu’une pratique culturelle) tout en étant loyaux envers leurs pays (même si pour certains il y a un basculement dans un extrémisme d’autant plus facilité qu’on leur rappelle qu’ils ne font pas partie de ce pays). Qu’il puisse exister un petit % de traitre comme ceux qui ont perpétrés des attentats terroristes est un fait comme chez tout le monde d’ailleurs (n’y avait-il pas des collabos par exemple lors de l’occupation qui ont envoyés des français à la mort voire se sont battus contre d’autres français de la résistance ? n’y avait-il pas aussi des traitres à leur patrie qui préféraient les ordres de Moscou que ceux de Paris ?) cela est une réalité propre à l’être humain. Mais s’il ne faut amalgamer Islam et politique, il ne faut tout autant pas amalgamé les musulmans et les extrémistes et faire le jeu de ceux qui utilisant le phénomène d’une présence musulmane en France l’utilise comme un leurre pour ne pas traiter les vrais problèmes propres à la banlieue, aux discriminations, aux inégalités, aux injustices, au racisme……

      Les nuances étaient je crois nécessaires.

    2. Voilà du bon limon qui soulève une matière en état de quasi putréfaction. Y’a « bon » … Et rebond !

      Vous reprenez là en creusant et remuant l’Histoire, l’exode rural et la migration vers ces dortoirs HLM en conséquence de la Révolution Industrielle que j’évoquais dans nos précédents échanges sur le capitalisme ensauvagé de Ludivine Bantigny, et vous achevez votre sillon en statuant sur l’impossibilité de voir surgir quoi que ce soit de cette sous-France qui croupit dans la souffrance.

      J’ai aimé la description rance et sans ambages que vous faites de la banlieue et de ses impasses. Je suis né et ai grandi au creux de cette populace et j’en porte encore 40 ans après en être sorti les stigmates. Aussi ne vous dédierai-je pas sur les faits. Mais je me dis aussi que de ce jus noir, vous ne connaissez probablement pas la chaleur moite, et que du feu de ses entrailles vous n’humez que le fumet. Et je ne parle là que de ce qui remonte à la surface quand on remue la vase comme vous le faites. S’il fallait décrire ce qui s’échappe des lieux clos fermés aux regards, il faudrait sortir les encensoirs et les pare-flammes. Je porte sur la question un tout autre regard que je développerai plus tard, nourri de tout ce que votre limon a fait sortir du noir, dont cette perle :

      « Les théories de classe c’est bien beau, mais si on ne se rend pas compte qu’il y a quelque chose de pourrie chez l’être humain, et qu’il y a une complexité, on passe à mon avis à côté de la réalisation que les problèmes sont avant tout au niveau de l’individu (ce qui après les rend universels) et qu’il convient d’améliorer l’individu si on veut les résoudre.  »

      Je souscris entièrement à cela et je fonde sur cette capacité de l’homme à sortir un jardin de son fumier, tous mes espoirs.

      1. Aïe aïe aïe ! C’est dur de bon matin !

        Si il y a une phrase que je considère comme la pire (parmi d’autres) de celui qui, sans vergogne, s’autoproclame « doct » c’est bien celle que vous retenez comme la meilleure !

        Essentialiser l’être humain (certains disent l’Homme) comme « pourri » (un peu à la manière d’Accardo en ce moment), c’est ne pas bien comprendre que l’individu n’est qu’un produit social, et n’est pas le produit biologique que l’on croit.

        Isolez physiquement ce produit biologique (avec à disposition toute la nourriture qui lui faut et tout autre confort …) et il meurt, se laisse mourir immanquablement. Ou peut-être s’animalise si il y a des animaux dans son entourage.

        Le mode UNIQUE d’existence de l’individu, ce sont les rapports sociaux (cad les conflits, pacifiés ou non, entre groupes d’alliés humains), et les rapports sociaux c’est ce qu’on appelle les rapports d’acteurs cad 1 camp contre 1 autre); concernant les rapports de production on parle alors de rapports de classe.

        L’essence de l’homme ce sont les rapports sociaux (dont les rapports de classes; pour évoquer l’ensemble des rapports sociaux, on dit intersectionnalité).

        1. Ce n’est hélas pas la première fois que vous semblez vouloir me provoquer (la dernière fois je vous ai dit que vous me « titillez » pour être plus diplomatique) mais commencer une réponse en critiquant le pseudonyme de son interlocuteur, c’est du niveau de l’école maternelle. C’est comme si je vous disais pour vous répondre mais vous n’êtes pas un « nuage » gnagna… pour ma part j’ai quitté physiquement et intellectuellement le jardin d’enfants depuis fort longtemps.

          Je ne comprends pas comment la modération peut laisser passer « celui qui, sans vergogne, s’autoproclame « doct »  » on n’est pas là dans un échange d’argument mais des attaques sur la personne. Or moi je ne vous connais pas, et je puis vous dire que c’est bien la dernière fois que je me donne la peine de vous répondre. Je ne vous dirais pas par exemple pourquoi mon pseudonyme est celui-ci.

          Si chacun peut répondre aux posts, je vous suggère de faire la grâce à tous ceux qui les lisent et de ne pas répondre aux miens et de m’oublier, ne les lisez pas même, cela m’importe peu. Eric lui cherche à échanger, j’échange avec lui de manière respectueuse, vous vous semblez chercher à en tirer un quelconque avantage personnel, comme si ce que l’on faisait ici avait quelconque autre importance que commenter des articles ou des émissions et partager nos points de vue de manière civilisée.

          En d’autres termes vivez votre vie de votre coté, faites vos commentaires, et oubliez moi. Je ne suis pas là pour participer à vos enfantillages, si vous n’avez que cela à faire tant mieux pour vous, mais il vous faudra trouver quelqu’un d’autre pour vos jeux de bac à sable.

          Adieu.

          1. Vous avez raison, mais que voulez-vous, j’ai l’impression que le provocateur c’est vous !
            – votre apologie de la pornographie, révèle en final un anti-féminisme primaire !
            – votre apologie de l’individualisme cache un anticommunisme-primaire !
            – vous affirmez que l’aristocratie traitait correctement les « vilains » (contrairement à la bourgeoisie); peut-être êtes-vous royaliste primaire ?

            Que voulez-vous, sur ce site, ce sont des positions rares ; c’est là ma raison ; je sais bien que dans la société de la compétition, il faut se montrer ouvert à toutes les nouveautés par principe, mais là, j’ai un peu de mal.
            Je vais essayer de faire un effort.
            Inutile de vous excuser !

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